BUYOYA SERAIT-IL HUTU? EXTRAIT D'UNE ENQUETE LUE DANS LES CHRONIQUES DE L'INSTITUT HAVILA
Note de la Rédaction: Ce document date de 2002
1. « On naît Tutsi, on ne le devient pas » (J.J.MAQUET)
Il faut sans doute commencer par mettre les choses au clair : aucune
confusion ne peut, dans les conditions normales, être entretenue sur le fait
ethnique hutu ou tutsi. La règle de base a été bien comprise par des
chercheurs étrangers comme J.J. MAQUET, qui font, on le sait, partie de ces
brebis galeuses que les hommes de l’établissement historique actuel veulent
prudemment reléguer aux oubliettes ; ces hommes de l’établissement que
Bernanos aimait qualifier appeler « la coalition des bien-pensants »
MAQUET a résumé sa leçon en deux mots : « On naît Tutsi, on ne le devient
pas !» ( cf. « La participation de la classe paysanne au mouvement
d’indépendance au Rwanda », in CEA, IV, 16, p.558).
Pour éclairer le lecteur qui ignorerait les mécanismes anciens de
transmission des marques identitaires chez les Batutsi, il faudrait donner
quelques références écrites parmi les moins fantaisistes. Est recommandé, à
cet égard, le cours du Professeur Jean-Baptiste NTAHOKAJA, condensé dans un
volumineux document publié en Kirundi, avec le concours financier de l’ACCT,
l’Agence française de Coopération Culturelle et Technique :( Imigenzo
y’Ikirundi, Paris/ACCT, Université du Burundi, 1978). Cet éminent chercheur,
rompu aux arcanes de la linguistique structurale et des disciplines
orientalistes, en ce compris l’Egyptologie et la civilisation hébraïque, est
considéré par toute une génération d’universitaires burundais et africains
comme le véritable père de la linguistique du Kirundi. Sa parfaite maîtrise
des traditions tutsi, qu’il a passé toute sa vie à récolter et à consigner
par écrit, est reconnue par tous ceux qui l’ont connu de près ou de loin,
sur les bancs de l’université ou dans des équipes de recherche.
Les étrangers qui voudraient approfondir cet aspect des traditions tutsi
peuvent consulter l’immense fresque historique de B. LUGAN, publié chez
Bartillat en 1997 (Histoire du Rwanda. De la préhistoire à nos jours , voir
notamment à la p.114) ; ils se méfieront avantageusement des poncifs en
vogue dans le courant de l’ « africanisme alimentaire », qui fait
malheureusement le plus de bruit sur le Rwanda et le Burundi. Ce courant
dominant en France et en Belgique, cherche à confisquer la civilisation
multimillénaire tutsi au bénéfice d’un bantouisme idéologique militant,
impossible à localiser dans les études archéologiques, linguistiques et
historiques dont la puissante synergie commence à faire basculer les
connaissances sur les civilisations de l’Afrique orientale (voir les aveux
de J.P. CHRETIEN dont l’argumentaire ne parvient à sauver la mise qu’en
qualifiant de racial les études anglo-saxons qui se sont penchés avec
d’autres lunettes sur le mode de vie et de civilisation des Batutsi :
L’Afrique des Grands-Lacs. Deux mille ans d’histoire, 2000, p.38)
Dans ces conditions et pour revenir à l’identité ethnique de Pierre BUYOYA,
la question cruciale aujourd’hui est de savoir si l’enfant mâle, né aux
alentours de 1949, sous le toit du vieux RURIKUMUNWA, du clan des BARTYABA,
établis à MUTANGARO, était réellement le fruit de l’union entre cet homme
déjà très avancé en âge et la femme encore jeune, plusieurs fois mariée,
qu’il vient tout juste d’épouser trois mois auparavant !
Cette question est cruciale, parce qu’en fonction de la réponse qu’on y
apporte, un homme fortement intéressé regagne ou perd son fauteuil
présidentiel ;
Elle est cruciale surtout parce qu’à l’issue de la décision d’attribution du
poste de Président à cet homme, tout un peuple aura le sentiment bien fixé
d’avoir été dirigé, pendant de longues années de souffrances et de
tribulations, par un ressortissant de son peuple simplement dépassé par l’ «
état du monde » ou par un faussaire sans scrupules animé de surcroît des
pires intentions.
Si la revue des CHRONIQUES s’est intéressée à l’affaire, c’est que tous les
Batutsi du Burundi, de la région de Havila et de la diaspora, se la posent
avec force, au vu des agissements anti-tutsi du Major BUYOYA, masqués sous
le couvert d’une pseudo-ouverture à la démocratie « labeaulienne », mais
aussi au vu de la solidarité agissante, voire la sollicitude, que dit-on,
la vénération, que cet officier porte à l’égard des personnalités et des
organisations hutu les plus extrémistes qui ont littéralement voué les
Batutsi aux gémonies.
A y regarder de près, cette question semble vraiment être au cœur même de la
« mauvaise conscience ethnique » de BUYOYA, qui a décidé d’y consacrer
obliquement son fameux fascicule « Mission possible », publié chez
l’Harmattan en 1998, avec le concours d’un tâcheron issu de sa nombreuse
suite de fervents hagiographes.
La question est cruciale en un mot, parce même la presse officielle de
Bujumbura s’en est déjà saisie. Les observateurs se souviennent d’un détail
qui n’a échappé à personne lors de la présentation de ce soi-disant livre
devant la presse de Bujumbura : l’extrême nervosité qui s’est emparé de
l’homme BUYOYA lorsqu’un journaliste, répercutant courageusement l’état de
l’opinion tutsi, lui a brusquement posé la question : « Monsieur le
Président, il subsiste dans l’opinion des interrogations et des doutes
concernant votre origine ethnique…Pouvez-vous nous dire maintenant si vous
êtes Hutu ou Tutsi ! » Il semblerait que la réponse fut on ne peut plus
clair ! Il faudra qu’on y revienne dans le détail de l’analyse.
Dans ces circonstances, et étant donné, une fois de plus, le climat fort
tendu constaté à la suite de la dernière session d’Arusha, où les partis
tutsi du G10 ont, à l’unanimité rejetté la candidature de BUYOYA à sa propre
succession, appuyés en cela par presque tous les partis Hutu, il devient
inévitable de livrer les éléments d’enquête que la rédaction des CHRONIQUES
avait jusqu’ici gardés dans leurs archives.
2. LES ENFANTS DE NZIKO
L’identité ethnique de celui qu’on appelle aujourd’hui « le Major BUYOYA »
ne peut être adéquatement circonscrite si l’on fait abstraction du parcours
matrimonial complexe de celle qui fut sa mère : un parcours attesté
longuement par les enquêteurs des CHRONIQUES , mais que BUYOYA évoque fort
laconiquement, et pour cause, dans son témoignage (nous citerons désormais
en abrégé MP, pour référer à son fascicule, Mission possible).
« Avant de faire ménage avec mon père, elle (ma mère Nzikobanyanka) avait
déjà eu cinq enfants auparavant. Je suis donc son sixième enfant » (MP,
p.20).
La mère de BUYOYA s’appelait donc NZIKOBANYANKA. D’après des sources
concordantes, elle vivait encore au moment où le Major présentait son
témoignage au public, ce qui rend incompréhensible la forme
aspectuo-temporelle « imparfait » que le Major utilise pour la décrire,
comme si elle n’était plus en vie : « Ma mère Nzikobanyanka était originaire
d’une famille très étendue ». On comprend bien cet anachronisme tactique,
puisque l’auteur du livre ne souhaitait pas que l’un ou l’autre curieux ait
l’idée saugrenue d’aller poser à sa mère quelques questions, auxquelles elle
aurait répondu avec plaisir et spontanéité, sachant quel homme fier et
puissant était devenu son fils, en dépit des prédictions du vieux
RURIKUMUNWA qui ne voulait en aucun cas l’envoyer à l’école...
Curieusement, BUYOYA ne dit pas plus sur sa mère, comme si le fait d’être
issue d’une « famille nombreuse » pouvait suffire à identifier quelqu’un !
Il fallait donc brouiller les pistes par des omissions tactiques. Or, on
sait que Madame NZIKOBANYANKA était née dans une famille de Batutsi établie
de longue date à Kiririsi , en commune Rutovu. Toutes les sources sont
concordantes, aucune contestation ethnique n’était possible à son égard :
NZIKOBANYANKA était Tutsi de naissance.
Chez Mugemangango
Parvenue à l’âge des amours, , trop vite impatiente de voir venir le
prétendant tutsi qu’elle souhaite, NZIKOBABYANKA accepte les avances d’un
brave Muhutu nommé MUGEMANGANGO. Et c’est là que les choses sérieuses
commencent. Car, MUGEMANGANGO était fort bien connu, semble-t-il, dans toute
la région du Bututsi. Il avait la réputation d’être imbattable à la course.
Mugemangago habitait dans la circonscription de l’actuelle commune SONGA, la
même donc que NYANGOMA et JEAN-BOSCO NDAYIKENGURUKIYE, qui sont demi-frères.
D’aucuns signalent d’ailleurs que Mugemangango serait proche parent à
Nyangoma.
De cette union initiale seraient nés deux garçons, dont l’un, prénommé
Cyprien, a été un diplomate bien connu à Kinshasa, du temps de BUYOYA I.
Jusque très récemment, personne n’avait soupçonné que Cyprien, le jeune
cadre du BEPES que BUYOYA tire de sa chaise usée du BEPES pour le propulser
aux plus hautes fonctions de l’Etat, était son frère utérin ! Pour les
besoins de l’ethnologie classique, les témoins se souviennent que, dans la
coutume, lorsque un Hutu devait donner la dot aux parents de sa future
épouse tutsi, il amenait bien la vache de la dot, mais la cérémonie
proprement dite n’avait pas lieu. On appelait cet acte « KURAMBIKA ». Il
fallait attendre que le futur couple ait des enfants pour procéder à l’étape
importante de l’ « Etat civil » qu’on appelle « GUKWA ». Les témoins se
rappellent donc que quand MUGAMANGANGO est venue s’acquitter de cette
formalité, il avait déjà deux grands enfants. Un contentieux a surgi à
l’instant même, qui a marqué les mémoires. MUGEMANGANGO voulait bien GUKWA,
mais trouvait exagéré de devoir fournir une autre génisse comme le veut la
tradition tutsi. Il déclara donc que puisque la première vache qu’il avait
fournie s’était déjà reproduite, c’était ça justement la génisse de sa
progéniture qui devait faire office d’INKWANO.
Le père de NZIKO s’y opposa avec fermeté, affirmant que dans ces conditions,
il allait garder la première vache, sa progéniture, ainsi que sa fille.
MUGEMANGANGO ne voulut pas bouger pas d’un pouce sur sa position, à telle
enseigne que la cérémonie se termina dans le plus grand malentendu. La loi
des anciens l’autorisait à répudier sa femme en cas de désaccord sur la dot,
avec le seul risque de ne pas pouvoir récupérer le cheptel placé en gage.
MUGEMANGINGO préféra divorcer sur-le-champ, plutôt que de se plier aux
exigences de cette coutume tutsi. Il prit cependant le soin de garder ses
deux enfants. Mais ce n’était pas fini. Comme dans ces circonstances le code
civil ancien était clair, les deux enfants ne pouvaient lui échoir que s’il
versait une indemnité prévue par la loi des anciens, à savoir, deux taurions
(amashuri), puisque c’était des garçons . MUGEMANGANGO dut obtempérer. Il
faut noter que c’eût été des filles, il aurait été astreint par le Conseil
des Anciens « ABASHINGANTAHE » à fournir obligatoirement deux génisses : «
Umwana w’muhungu aguzwa ishuri, umwana w’umukobwa akaguzwa inyana ».
Chez Bujuja
Après cette déconvenue, la mère de BUYOYA fut approchée par un notable
Mututsi du clan des Bayogoma, nommé BUJUJA. Il résidait à Musenyi, dans la
circonscription de l’actuelle commune Rutovu. Dans l’ «Etat civil ancien »
on dit que « yamucuye ». Il l’a fait rentrer chez lui. De leur union est née
une fille. Mais le couple ne fit pas long feu. Le divorce fut encore la
dernière solution à l’incompréhension conjugale avec le Mututsi.
Pour la petite histoire, les sources, prolixes sur cette étape du parcours,
disent que BUJUJA avait deux frères, MBASHA et BARANDIYE. Ce dernier, très
regardant sur l’observance des codes anciens, n’aimait pas les inconstances
de NZIKO. Constatant que sa nouvelle belle sœur se méconduisait à l’insu de
son mari, BARANDIYE décida, d’initiative, de la chasser lui-même sans
ménagement (« Yamukubita imyugariro »). Il semblerait que BUYOYA n’ait
jamais pardonné ce geste, et qu’il n’a pas hésité à venger sa mère sur la
descendance de BARANDIYE. Au cours d’un des nombreux procès bidons qui
jalonnent le parcours politique de BUYOYA, un des descendants de Barandiye
fut condamné à 6.000 ans d’emprisonnement, parce que son père avait asséné
les coups d’ «imyugariro ».
A l’issue de cette mésaventure, la mère de BUYOYA disparut quelques temps de
la contrée. Elle fut signalée dans les environs de MUTSINDOZI et de
MAKAMBA, sans plus de précisions sur ses nouvelles rencontres. Elle devait
refaire son apparition quelques années plus tard, établie chez un hutu de «
Mu Kidahe », et c’est là que nous nous rapprochons des secrets identitaires
de BUYOYA.
Le fils de Kimuzanye
Une fois revenue de ces contrées lointaines, Madame NZIKOBANYANKA fut
approchée par un Muhutu du nom de KIMUZANYE. Ce dernier habitait la colline
de « Mu Kidahe », dans l’actuelle circonscription de Rutovu. A cette étape
de la reconstitution, nous approchons du moment critique. De l’union avec
KIMUZANYE, naquirent deux enfants, un garçon, nommé BISHATSI et une fille.
Les sources concordantes attestent que BISHATSI ressemble beaucoup à BUYOYA.
Les gens des environs le connaissent bien, puisqu’il a longtemps exercé
comme chef cantonnier sur les routes de campagne. Le séjour chez KIMUZANYE
ne dura pas longtemps après ces naissances. Lorsque BISHATSI eut 3 ans,
NZIKOBANYANKA était enceinte de BUYOYA. Les rapports avec son mari KIMUZANYE
ne tardèrent pas à se gâter, et elle fut renvoyée.
Chez Rurikumunwa
Cette fois-ci, Madame NZIKOBANYANKA ne tarda pas à trouver un nouveau parti.
Mais elle n’eut pas la chance de tomber sur un homme dans la force de l’âge.
RURIKUMUNWA était un Mututsi du clan des Bacaba. Il habitait la colline de
Mutangaro (Rutovu). A l’arrivée de la mère de BUYOYA, c’était un tranquille
octogénaire, qui venait de perdre sa dernière femme, et comme le raconte si
justement BUYOYA, il n’avait pas eu beaucoup d’enfants. Juste deux noms de
garçons ont été signalés avant l’entrée de NZIKOBANYANKA sous le toit du
vieux RURIKUMUNWA : MARUHE et MUGURUTSI. La fille qu’évoque le témoignage de
BUYOYA n’a pas été signalée, sûrement parce qu’elle est allée se marier
loin.
Quand donc NZIKOBANYANKA entre chez RURIKUMUNWA, elle est enceinte de
BUYOYA, et BISHATSI a 3 ans. Une grossesse avancée que les témoignages des
vieux estiment à plus de cinq mois. A ce moment, RURIKUMUNWA est
véritablement un vieillard grabataire, et ses enfants avaient choisi
NZIKOBANYANKA pour qu’elle entretienne le feu dans la maison (Kumucanira
umucanwa), d’une part, et pour qu’elle lui serve d’appui pour aller
s’étendre au soleil, puis rentrer à la nuit tombante. Il n’était donc pas
question de rapports conjugaux dans ces circonstances.
Les témoignages convergent sur la surprise de RURIKUMUNWA lorsque, quelques
quatre mois plus tard, il entendit un bébé qui vagissait dans sa maison !
BUYOYA venait de naître. Quelques jours plus tard, des voisins en visite,
entendant un enfant, s’étonnèrent auprès de RURIKUMUNWA : comment ne les
avait-il pas mis au courant d’un si heureux événement qui tenait plutôt du
miracle à la Zacharie (Luc 1,18) ! Le vieux RURIKUMUNWA, aussi perplexe que
ses visiteurs leur dit : « Nanje namubonye buyoya ! », d’où le nom de BUYOYA
dont l’auteur de MP fausse sciemment le décryptage sémiologique (MP, p.20).
Un test religieux
Connaissant bien la législation civile ancienne en la matière, RURIKUMUNWA
se garda de procéder à la cérémonie hébraïque de la « dation du nom », qui
devait intervenir au septième jour de la naissance. C’est cet épisode très
significatif que décrit ingénument BUYOYA (MP, P.20). Eduqué à l’occidental,
BUYOYA ignore, comme on le voit, un certain nombre de dispositions
cultuelles anciennes encore en vigueur chez les Batutsi. Il faut donc le
rappeler, puisque BUYOYA lui-même l’a confirmé : RURIKUMUNWA ne pouvait pas
donner un nom à un enfant qu’il ne reconnaissait pas comme le sien.
« Quand je suis venu au monde, mon père n’a pas voulu me donner tout de
suite un nom…
« Pour l’instant, cet enfant on l’appellera BUYOYA. Si Dieu lui prête la
vie, s’il grandit, on lui donnera alors un autre nom.» Comme un pouvait s’y
attendre de la part d’un « légaliste tutsi » comme RURIKUMUNWA, ce nom n’est
jamais venu. « BUYOYA » est donc le dernier mot d’une phrase prononcée par
RURIKUMUNWA, pour expliquer la présence insolite d’un bébé sous son toit.
Ce n’est pas une marque d’identité, qui, dans les lois tutsi, est conférée
dans un environnement religieux et juridique précis. On comprend, au
passage, pourquoi, ce garçon non reconnu, littéralement « non-identifié »,
une fois devenu Président, cherchera à écraser toute marque d’identité
tutsi, en utilisant tous les prétextes idéologiques élaborés par l’Etat
jacobine néo-coloniale, ultra-catholique par-dessus tout.
BUYOYA est donc né sous le toit du vieillard grabataire RURIKUMUNWA, devenu,
par la force des choses, son père adoptif ; son père biologique devrait
être, en toute logique, l’avant-dernier mari de sa mère, le Muhutu
KIMUZANYE.
Un test juridique : le droit de succession
Cette situation plutôt inattendue semble avoir eu des conséquences
juridiques immédiates. En effet, de sources concordantes, celles de BUYOYA
comprise (MP, P.14), RURIKUMUNWA s’est interdit de lui donner un nom, ce qui
aurait signifié qu’il le reconnaissait comme son enfant à part entière.
D’autre part, RURIKUMUNWA aurait dicté son testament de manière que BUYOYA
soit exclu de l’héritage foncier, ainsi que le voulait le code foncier
ancien. C’est une loi shebatique très ancienne, bien connue dans les
archives bibliques et d’Ethiopie. En Ethiopie, « la progéniture mâle d’une
union adultère ne pouvait hériter de la terre et ne pouvait pas (dans le cas
des Orits encore pratiquants) pénétrer dans la maison des prières »
(TEGEGNE, M., Les Enfants de l’Arche, T1, 1999, p.93)
Les témoignages rendent compte de deux naissances insolites intervenues sous
le toit du vieux RURIKUMUNWA, littéralement dépassé par les événements. Les
aventures extra-conjugales de NZIKO se sont, en effet, multipliées, à la
faveur de l’incapacité physique de RURIKUMUNWA, fort avancé en âge. Un
certain RUJWANGA, Hutu de son état, et qui livrait du miel chez RURIKUMUNWA,
n’aurait pas tardé à succomber aux charmes de NZIKOBANYANKA, qui ne trouvait
pas chez son mari l’énergie virile qu’elle en attendait.
Un autre Muhutu appelé MUROFOKE, est aussi apparu dans les témoignages,
tournant autour de NZIKOBANYANKA, à ce stade de son parcours alambiqué. Deux
enfants hutu sont donc nés de ces fréquentations, dont un certain GASHERE,
connu de tous les soldats et officiers qui ont travaillé à la Base des
Forces Armées (Camp Base). Pour tous ceux qui le connaissent, GASHERE,
Caporal à la Base des Forces Armées et frère de BUYOYA, est un Muhutu
tranquille, qui ne souffre d’aucun complexe. A l’instar de BUYOYA, BISHATSI
et GASHERE n’ont eu droit à aucune part d’héritage dans la maison de
RURIKUMUNWA, bien qu’ils aient grandi là-bas.
C’est seulement lorsqu’il parvint au grade de Commandant qu’il dut se
chercher lui-même une propriété à Mutangaro ; d’aucun évoquent tout
simplement la récupération d’une partie de l’ancienne propriété de MUROFOKE,
qui était mort entre-temps, en 1972. Signalons que MUGEMANGANGO, lui, semble
avoir été abattu dans des circonstances obscures, en 1988, juste au moment
où les événements de NTEGA-MARANGARA se déroulaient au Nord du pays. Par
contre, il n’a pas été possible d’avoir des précisions sur les circonstances
de la mort du Hutu KIMUZANYE, le père présumé de BUYOYA.
POUR CONCLURE
Les témoignages patiemment recueillis par l’équipe des CHRONIQUES suffisent
amplement pour poser clairement la question de l’identité ethnique du Major
Pierre BUYOYA. Le contexte troublé des années BUYOYA, qui ont vu veni le
premier génocide impuni de l’histoire des Batutsi ; la débâcle inexplicable
des Batutsi sur tous les terrains institutionnels et identitaires depuis 13
ans que le système BUYOYA dirige en maïtre le Burundi ; la montée en
puissance des forces génocidaires Hutu dans un pays que ni la tutelle belge,
ni la puissante Eglise catholique, n’avaient réussi à transformer de manière
décisive ; la crétinisation des Batutsi et leur marche inexorable vers
l’extermination totale qui confirment le tableau de Raoul HILBERT sur la «
paralysie mentale de la victime » en passe d’être « génocidée »
(L’Extermination des Juifs d’Europe, 1988) ; l’encerclement dramatique de
Bujumbura par les forces génocidaires, alors que les forces armées
burundaises, au meilleur de leur forme depuis NTARE RUGAMBA, triomphent sur
tous fronts de l’Est du Congo ; la mise en déroute de la classe politique
tutsi, matérialisée par les ACCORDS D’ARUSHA d’Août 2000 ; tous ces
phénomènes convergents et inexplicables doivent avoir une causalité unique
au sommet de l’Etat. La prise en compte de l’éclairage fourni par l’enquête
des CHRONIQUES permettra, à n’en pas douter, de lever un des voiles pudiques
qui obscurcissent l’histoire dramatique des Batutsi du Burundi.
Les Batutsi sont un peuple très ancien, respecté, depuis HOMERE et HERODOTE,
comme «participant d’une humanité qui n’a pas encore perdu le souvenir d’une
communauté originelle avec les dieux » ( Cf L’Iliade, XXXI). Si ce grand
peuple survit au complot dont il est victime aujourd’hui, ses notables, ses
prophètes et ses scribes tireront une terrible leçon de ces 15 dernières
années qui sont censées les engloutir. Un nom restera au cœur de cette
tourmente : Le Major BUYOYA. De la connaissance approfondie de cet homme
dépendra l’idée que les générations futures retiendront sur la « Fin des
Batutsi » ; une fin qui semble imminente, sauf intervention miraculeuse du
Dieu d’Israël dressant, entre son Peuple en fuite et les Armées de Pharaon,
la terrible muraille des eaux de la Mer Rouge
1. « On naît Tutsi, on ne le devient pas » (J.J.MAQUET)
Il faut sans doute commencer par mettre les choses au clair : aucune
confusion ne peut, dans les conditions normales, être entretenue sur le fait
ethnique hutu ou tutsi. La règle de base a été bien comprise par des
chercheurs étrangers comme J.J. MAQUET, qui font, on le sait, partie de ces
brebis galeuses que les hommes de l’établissement historique actuel veulent
prudemment reléguer aux oubliettes ; ces hommes de l’établissement que
Bernanos aimait qualifier appeler « la coalition des bien-pensants »
MAQUET a résumé sa leçon en deux mots : « On naît Tutsi, on ne le devient
pas !» ( cf. « La participation de la classe paysanne au mouvement
d’indépendance au Rwanda », in CEA, IV, 16, p.558).
Pour éclairer le lecteur qui ignorerait les mécanismes anciens de
transmission des marques identitaires chez les Batutsi, il faudrait donner
quelques références écrites parmi les moins fantaisistes. Est recommandé, à
cet égard, le cours du Professeur Jean-Baptiste NTAHOKAJA, condensé dans un
volumineux document publié en Kirundi, avec le concours financier de l’ACCT,
l’Agence française de Coopération Culturelle et Technique :( Imigenzo
y’Ikirundi, Paris/ACCT, Université du Burundi, 1978). Cet éminent chercheur,
rompu aux arcanes de la linguistique structurale et des disciplines
orientalistes, en ce compris l’Egyptologie et la civilisation hébraïque, est
considéré par toute une génération d’universitaires burundais et africains
comme le véritable père de la linguistique du Kirundi. Sa parfaite maîtrise
des traditions tutsi, qu’il a passé toute sa vie à récolter et à consigner
par écrit, est reconnue par tous ceux qui l’ont connu de près ou de loin,
sur les bancs de l’université ou dans des équipes de recherche.
Les étrangers qui voudraient approfondir cet aspect des traditions tutsi
peuvent consulter l’immense fresque historique de B. LUGAN, publié chez
Bartillat en 1997 (Histoire du Rwanda. De la préhistoire à nos jours , voir
notamment à la p.114) ; ils se méfieront avantageusement des poncifs en
vogue dans le courant de l’ « africanisme alimentaire », qui fait
malheureusement le plus de bruit sur le Rwanda et le Burundi. Ce courant
dominant en France et en Belgique, cherche à confisquer la civilisation
multimillénaire tutsi au bénéfice d’un bantouisme idéologique militant,
impossible à localiser dans les études archéologiques, linguistiques et
historiques dont la puissante synergie commence à faire basculer les
connaissances sur les civilisations de l’Afrique orientale (voir les aveux
de J.P. CHRETIEN dont l’argumentaire ne parvient à sauver la mise qu’en
qualifiant de racial les études anglo-saxons qui se sont penchés avec
d’autres lunettes sur le mode de vie et de civilisation des Batutsi :
L’Afrique des Grands-Lacs. Deux mille ans d’histoire, 2000, p.38)
Dans ces conditions et pour revenir à l’identité ethnique de Pierre BUYOYA,
la question cruciale aujourd’hui est de savoir si l’enfant mâle, né aux
alentours de 1949, sous le toit du vieux RURIKUMUNWA, du clan des BARTYABA,
établis à MUTANGARO, était réellement le fruit de l’union entre cet homme
déjà très avancé en âge et la femme encore jeune, plusieurs fois mariée,
qu’il vient tout juste d’épouser trois mois auparavant !
Cette question est cruciale, parce qu’en fonction de la réponse qu’on y
apporte, un homme fortement intéressé regagne ou perd son fauteuil
présidentiel ;
Elle est cruciale surtout parce qu’à l’issue de la décision d’attribution du
poste de Président à cet homme, tout un peuple aura le sentiment bien fixé
d’avoir été dirigé, pendant de longues années de souffrances et de
tribulations, par un ressortissant de son peuple simplement dépassé par l’ «
état du monde » ou par un faussaire sans scrupules animé de surcroît des
pires intentions.
Si la revue des CHRONIQUES s’est intéressée à l’affaire, c’est que tous les
Batutsi du Burundi, de la région de Havila et de la diaspora, se la posent
avec force, au vu des agissements anti-tutsi du Major BUYOYA, masqués sous
le couvert d’une pseudo-ouverture à la démocratie « labeaulienne », mais
aussi au vu de la solidarité agissante, voire la sollicitude, que dit-on,
la vénération, que cet officier porte à l’égard des personnalités et des
organisations hutu les plus extrémistes qui ont littéralement voué les
Batutsi aux gémonies.
A y regarder de près, cette question semble vraiment être au cœur même de la
« mauvaise conscience ethnique » de BUYOYA, qui a décidé d’y consacrer
obliquement son fameux fascicule « Mission possible », publié chez
l’Harmattan en 1998, avec le concours d’un tâcheron issu de sa nombreuse
suite de fervents hagiographes.
La question est cruciale en un mot, parce même la presse officielle de
Bujumbura s’en est déjà saisie. Les observateurs se souviennent d’un détail
qui n’a échappé à personne lors de la présentation de ce soi-disant livre
devant la presse de Bujumbura : l’extrême nervosité qui s’est emparé de
l’homme BUYOYA lorsqu’un journaliste, répercutant courageusement l’état de
l’opinion tutsi, lui a brusquement posé la question : « Monsieur le
Président, il subsiste dans l’opinion des interrogations et des doutes
concernant votre origine ethnique…Pouvez-vous nous dire maintenant si vous
êtes Hutu ou Tutsi ! » Il semblerait que la réponse fut on ne peut plus
clair ! Il faudra qu’on y revienne dans le détail de l’analyse.
Dans ces circonstances, et étant donné, une fois de plus, le climat fort
tendu constaté à la suite de la dernière session d’Arusha, où les partis
tutsi du G10 ont, à l’unanimité rejetté la candidature de BUYOYA à sa propre
succession, appuyés en cela par presque tous les partis Hutu, il devient
inévitable de livrer les éléments d’enquête que la rédaction des CHRONIQUES
avait jusqu’ici gardés dans leurs archives.
2. LES ENFANTS DE NZIKO
L’identité ethnique de celui qu’on appelle aujourd’hui « le Major BUYOYA »
ne peut être adéquatement circonscrite si l’on fait abstraction du parcours
matrimonial complexe de celle qui fut sa mère : un parcours attesté
longuement par les enquêteurs des CHRONIQUES , mais que BUYOYA évoque fort
laconiquement, et pour cause, dans son témoignage (nous citerons désormais
en abrégé MP, pour référer à son fascicule, Mission possible).
« Avant de faire ménage avec mon père, elle (ma mère Nzikobanyanka) avait
déjà eu cinq enfants auparavant. Je suis donc son sixième enfant » (MP,
p.20).
La mère de BUYOYA s’appelait donc NZIKOBANYANKA. D’après des sources
concordantes, elle vivait encore au moment où le Major présentait son
témoignage au public, ce qui rend incompréhensible la forme
aspectuo-temporelle « imparfait » que le Major utilise pour la décrire,
comme si elle n’était plus en vie : « Ma mère Nzikobanyanka était originaire
d’une famille très étendue ». On comprend bien cet anachronisme tactique,
puisque l’auteur du livre ne souhaitait pas que l’un ou l’autre curieux ait
l’idée saugrenue d’aller poser à sa mère quelques questions, auxquelles elle
aurait répondu avec plaisir et spontanéité, sachant quel homme fier et
puissant était devenu son fils, en dépit des prédictions du vieux
RURIKUMUNWA qui ne voulait en aucun cas l’envoyer à l’école...
Curieusement, BUYOYA ne dit pas plus sur sa mère, comme si le fait d’être
issue d’une « famille nombreuse » pouvait suffire à identifier quelqu’un !
Il fallait donc brouiller les pistes par des omissions tactiques. Or, on
sait que Madame NZIKOBANYANKA était née dans une famille de Batutsi établie
de longue date à Kiririsi , en commune Rutovu. Toutes les sources sont
concordantes, aucune contestation ethnique n’était possible à son égard :
NZIKOBANYANKA était Tutsi de naissance.
Chez Mugemangango
Parvenue à l’âge des amours, , trop vite impatiente de voir venir le
prétendant tutsi qu’elle souhaite, NZIKOBABYANKA accepte les avances d’un
brave Muhutu nommé MUGEMANGANGO. Et c’est là que les choses sérieuses
commencent. Car, MUGEMANGANGO était fort bien connu, semble-t-il, dans toute
la région du Bututsi. Il avait la réputation d’être imbattable à la course.
Mugemangago habitait dans la circonscription de l’actuelle commune SONGA, la
même donc que NYANGOMA et JEAN-BOSCO NDAYIKENGURUKIYE, qui sont demi-frères.
D’aucuns signalent d’ailleurs que Mugemangango serait proche parent à
Nyangoma.
De cette union initiale seraient nés deux garçons, dont l’un, prénommé
Cyprien, a été un diplomate bien connu à Kinshasa, du temps de BUYOYA I.
Jusque très récemment, personne n’avait soupçonné que Cyprien, le jeune
cadre du BEPES que BUYOYA tire de sa chaise usée du BEPES pour le propulser
aux plus hautes fonctions de l’Etat, était son frère utérin ! Pour les
besoins de l’ethnologie classique, les témoins se souviennent que, dans la
coutume, lorsque un Hutu devait donner la dot aux parents de sa future
épouse tutsi, il amenait bien la vache de la dot, mais la cérémonie
proprement dite n’avait pas lieu. On appelait cet acte « KURAMBIKA ». Il
fallait attendre que le futur couple ait des enfants pour procéder à l’étape
importante de l’ « Etat civil » qu’on appelle « GUKWA ». Les témoins se
rappellent donc que quand MUGAMANGANGO est venue s’acquitter de cette
formalité, il avait déjà deux grands enfants. Un contentieux a surgi à
l’instant même, qui a marqué les mémoires. MUGEMANGANGO voulait bien GUKWA,
mais trouvait exagéré de devoir fournir une autre génisse comme le veut la
tradition tutsi. Il déclara donc que puisque la première vache qu’il avait
fournie s’était déjà reproduite, c’était ça justement la génisse de sa
progéniture qui devait faire office d’INKWANO.
Le père de NZIKO s’y opposa avec fermeté, affirmant que dans ces conditions,
il allait garder la première vache, sa progéniture, ainsi que sa fille.
MUGEMANGANGO ne voulut pas bouger pas d’un pouce sur sa position, à telle
enseigne que la cérémonie se termina dans le plus grand malentendu. La loi
des anciens l’autorisait à répudier sa femme en cas de désaccord sur la dot,
avec le seul risque de ne pas pouvoir récupérer le cheptel placé en gage.
MUGEMANGINGO préféra divorcer sur-le-champ, plutôt que de se plier aux
exigences de cette coutume tutsi. Il prit cependant le soin de garder ses
deux enfants. Mais ce n’était pas fini. Comme dans ces circonstances le code
civil ancien était clair, les deux enfants ne pouvaient lui échoir que s’il
versait une indemnité prévue par la loi des anciens, à savoir, deux taurions
(amashuri), puisque c’était des garçons . MUGEMANGANGO dut obtempérer. Il
faut noter que c’eût été des filles, il aurait été astreint par le Conseil
des Anciens « ABASHINGANTAHE » à fournir obligatoirement deux génisses : «
Umwana w’muhungu aguzwa ishuri, umwana w’umukobwa akaguzwa inyana ».
Chez Bujuja
Après cette déconvenue, la mère de BUYOYA fut approchée par un notable
Mututsi du clan des Bayogoma, nommé BUJUJA. Il résidait à Musenyi, dans la
circonscription de l’actuelle commune Rutovu. Dans l’ «Etat civil ancien »
on dit que « yamucuye ». Il l’a fait rentrer chez lui. De leur union est née
une fille. Mais le couple ne fit pas long feu. Le divorce fut encore la
dernière solution à l’incompréhension conjugale avec le Mututsi.
Pour la petite histoire, les sources, prolixes sur cette étape du parcours,
disent que BUJUJA avait deux frères, MBASHA et BARANDIYE. Ce dernier, très
regardant sur l’observance des codes anciens, n’aimait pas les inconstances
de NZIKO. Constatant que sa nouvelle belle sœur se méconduisait à l’insu de
son mari, BARANDIYE décida, d’initiative, de la chasser lui-même sans
ménagement (« Yamukubita imyugariro »). Il semblerait que BUYOYA n’ait
jamais pardonné ce geste, et qu’il n’a pas hésité à venger sa mère sur la
descendance de BARANDIYE. Au cours d’un des nombreux procès bidons qui
jalonnent le parcours politique de BUYOYA, un des descendants de Barandiye
fut condamné à 6.000 ans d’emprisonnement, parce que son père avait asséné
les coups d’ «imyugariro ».
A l’issue de cette mésaventure, la mère de BUYOYA disparut quelques temps de
la contrée. Elle fut signalée dans les environs de MUTSINDOZI et de
MAKAMBA, sans plus de précisions sur ses nouvelles rencontres. Elle devait
refaire son apparition quelques années plus tard, établie chez un hutu de «
Mu Kidahe », et c’est là que nous nous rapprochons des secrets identitaires
de BUYOYA.
Le fils de Kimuzanye
Une fois revenue de ces contrées lointaines, Madame NZIKOBANYANKA fut
approchée par un Muhutu du nom de KIMUZANYE. Ce dernier habitait la colline
de « Mu Kidahe », dans l’actuelle circonscription de Rutovu. A cette étape
de la reconstitution, nous approchons du moment critique. De l’union avec
KIMUZANYE, naquirent deux enfants, un garçon, nommé BISHATSI et une fille.
Les sources concordantes attestent que BISHATSI ressemble beaucoup à BUYOYA.
Les gens des environs le connaissent bien, puisqu’il a longtemps exercé
comme chef cantonnier sur les routes de campagne. Le séjour chez KIMUZANYE
ne dura pas longtemps après ces naissances. Lorsque BISHATSI eut 3 ans,
NZIKOBANYANKA était enceinte de BUYOYA. Les rapports avec son mari KIMUZANYE
ne tardèrent pas à se gâter, et elle fut renvoyée.
Chez Rurikumunwa
Cette fois-ci, Madame NZIKOBANYANKA ne tarda pas à trouver un nouveau parti.
Mais elle n’eut pas la chance de tomber sur un homme dans la force de l’âge.
RURIKUMUNWA était un Mututsi du clan des Bacaba. Il habitait la colline de
Mutangaro (Rutovu). A l’arrivée de la mère de BUYOYA, c’était un tranquille
octogénaire, qui venait de perdre sa dernière femme, et comme le raconte si
justement BUYOYA, il n’avait pas eu beaucoup d’enfants. Juste deux noms de
garçons ont été signalés avant l’entrée de NZIKOBANYANKA sous le toit du
vieux RURIKUMUNWA : MARUHE et MUGURUTSI. La fille qu’évoque le témoignage de
BUYOYA n’a pas été signalée, sûrement parce qu’elle est allée se marier
loin.
Quand donc NZIKOBANYANKA entre chez RURIKUMUNWA, elle est enceinte de
BUYOYA, et BISHATSI a 3 ans. Une grossesse avancée que les témoignages des
vieux estiment à plus de cinq mois. A ce moment, RURIKUMUNWA est
véritablement un vieillard grabataire, et ses enfants avaient choisi
NZIKOBANYANKA pour qu’elle entretienne le feu dans la maison (Kumucanira
umucanwa), d’une part, et pour qu’elle lui serve d’appui pour aller
s’étendre au soleil, puis rentrer à la nuit tombante. Il n’était donc pas
question de rapports conjugaux dans ces circonstances.
Les témoignages convergent sur la surprise de RURIKUMUNWA lorsque, quelques
quatre mois plus tard, il entendit un bébé qui vagissait dans sa maison !
BUYOYA venait de naître. Quelques jours plus tard, des voisins en visite,
entendant un enfant, s’étonnèrent auprès de RURIKUMUNWA : comment ne les
avait-il pas mis au courant d’un si heureux événement qui tenait plutôt du
miracle à la Zacharie (Luc 1,18) ! Le vieux RURIKUMUNWA, aussi perplexe que
ses visiteurs leur dit : « Nanje namubonye buyoya ! », d’où le nom de BUYOYA
dont l’auteur de MP fausse sciemment le décryptage sémiologique (MP, p.20).
Un test religieux
Connaissant bien la législation civile ancienne en la matière, RURIKUMUNWA
se garda de procéder à la cérémonie hébraïque de la « dation du nom », qui
devait intervenir au septième jour de la naissance. C’est cet épisode très
significatif que décrit ingénument BUYOYA (MP, P.20). Eduqué à l’occidental,
BUYOYA ignore, comme on le voit, un certain nombre de dispositions
cultuelles anciennes encore en vigueur chez les Batutsi. Il faut donc le
rappeler, puisque BUYOYA lui-même l’a confirmé : RURIKUMUNWA ne pouvait pas
donner un nom à un enfant qu’il ne reconnaissait pas comme le sien.
« Quand je suis venu au monde, mon père n’a pas voulu me donner tout de
suite un nom…
« Pour l’instant, cet enfant on l’appellera BUYOYA. Si Dieu lui prête la
vie, s’il grandit, on lui donnera alors un autre nom.» Comme un pouvait s’y
attendre de la part d’un « légaliste tutsi » comme RURIKUMUNWA, ce nom n’est
jamais venu. « BUYOYA » est donc le dernier mot d’une phrase prononcée par
RURIKUMUNWA, pour expliquer la présence insolite d’un bébé sous son toit.
Ce n’est pas une marque d’identité, qui, dans les lois tutsi, est conférée
dans un environnement religieux et juridique précis. On comprend, au
passage, pourquoi, ce garçon non reconnu, littéralement « non-identifié »,
une fois devenu Président, cherchera à écraser toute marque d’identité
tutsi, en utilisant tous les prétextes idéologiques élaborés par l’Etat
jacobine néo-coloniale, ultra-catholique par-dessus tout.
BUYOYA est donc né sous le toit du vieillard grabataire RURIKUMUNWA, devenu,
par la force des choses, son père adoptif ; son père biologique devrait
être, en toute logique, l’avant-dernier mari de sa mère, le Muhutu
KIMUZANYE.
Un test juridique : le droit de succession
Cette situation plutôt inattendue semble avoir eu des conséquences
juridiques immédiates. En effet, de sources concordantes, celles de BUYOYA
comprise (MP, P.14), RURIKUMUNWA s’est interdit de lui donner un nom, ce qui
aurait signifié qu’il le reconnaissait comme son enfant à part entière.
D’autre part, RURIKUMUNWA aurait dicté son testament de manière que BUYOYA
soit exclu de l’héritage foncier, ainsi que le voulait le code foncier
ancien. C’est une loi shebatique très ancienne, bien connue dans les
archives bibliques et d’Ethiopie. En Ethiopie, « la progéniture mâle d’une
union adultère ne pouvait hériter de la terre et ne pouvait pas (dans le cas
des Orits encore pratiquants) pénétrer dans la maison des prières »
(TEGEGNE, M., Les Enfants de l’Arche, T1, 1999, p.93)
Les témoignages rendent compte de deux naissances insolites intervenues sous
le toit du vieux RURIKUMUNWA, littéralement dépassé par les événements. Les
aventures extra-conjugales de NZIKO se sont, en effet, multipliées, à la
faveur de l’incapacité physique de RURIKUMUNWA, fort avancé en âge. Un
certain RUJWANGA, Hutu de son état, et qui livrait du miel chez RURIKUMUNWA,
n’aurait pas tardé à succomber aux charmes de NZIKOBANYANKA, qui ne trouvait
pas chez son mari l’énergie virile qu’elle en attendait.
Un autre Muhutu appelé MUROFOKE, est aussi apparu dans les témoignages,
tournant autour de NZIKOBANYANKA, à ce stade de son parcours alambiqué. Deux
enfants hutu sont donc nés de ces fréquentations, dont un certain GASHERE,
connu de tous les soldats et officiers qui ont travaillé à la Base des
Forces Armées (Camp Base). Pour tous ceux qui le connaissent, GASHERE,
Caporal à la Base des Forces Armées et frère de BUYOYA, est un Muhutu
tranquille, qui ne souffre d’aucun complexe. A l’instar de BUYOYA, BISHATSI
et GASHERE n’ont eu droit à aucune part d’héritage dans la maison de
RURIKUMUNWA, bien qu’ils aient grandi là-bas.
C’est seulement lorsqu’il parvint au grade de Commandant qu’il dut se
chercher lui-même une propriété à Mutangaro ; d’aucun évoquent tout
simplement la récupération d’une partie de l’ancienne propriété de MUROFOKE,
qui était mort entre-temps, en 1972. Signalons que MUGEMANGANGO, lui, semble
avoir été abattu dans des circonstances obscures, en 1988, juste au moment
où les événements de NTEGA-MARANGARA se déroulaient au Nord du pays. Par
contre, il n’a pas été possible d’avoir des précisions sur les circonstances
de la mort du Hutu KIMUZANYE, le père présumé de BUYOYA.
POUR CONCLURE
Les témoignages patiemment recueillis par l’équipe des CHRONIQUES suffisent
amplement pour poser clairement la question de l’identité ethnique du Major
Pierre BUYOYA. Le contexte troublé des années BUYOYA, qui ont vu veni le
premier génocide impuni de l’histoire des Batutsi ; la débâcle inexplicable
des Batutsi sur tous les terrains institutionnels et identitaires depuis 13
ans que le système BUYOYA dirige en maïtre le Burundi ; la montée en
puissance des forces génocidaires Hutu dans un pays que ni la tutelle belge,
ni la puissante Eglise catholique, n’avaient réussi à transformer de manière
décisive ; la crétinisation des Batutsi et leur marche inexorable vers
l’extermination totale qui confirment le tableau de Raoul HILBERT sur la «
paralysie mentale de la victime » en passe d’être « génocidée »
(L’Extermination des Juifs d’Europe, 1988) ; l’encerclement dramatique de
Bujumbura par les forces génocidaires, alors que les forces armées
burundaises, au meilleur de leur forme depuis NTARE RUGAMBA, triomphent sur
tous fronts de l’Est du Congo ; la mise en déroute de la classe politique
tutsi, matérialisée par les ACCORDS D’ARUSHA d’Août 2000 ; tous ces
phénomènes convergents et inexplicables doivent avoir une causalité unique
au sommet de l’Etat. La prise en compte de l’éclairage fourni par l’enquête
des CHRONIQUES permettra, à n’en pas douter, de lever un des voiles pudiques
qui obscurcissent l’histoire dramatique des Batutsi du Burundi.
Les Batutsi sont un peuple très ancien, respecté, depuis HOMERE et HERODOTE,
comme «participant d’une humanité qui n’a pas encore perdu le souvenir d’une
communauté originelle avec les dieux » ( Cf L’Iliade, XXXI). Si ce grand
peuple survit au complot dont il est victime aujourd’hui, ses notables, ses
prophètes et ses scribes tireront une terrible leçon de ces 15 dernières
années qui sont censées les engloutir. Un nom restera au cœur de cette
tourmente : Le Major BUYOYA. De la connaissance approfondie de cet homme
dépendra l’idée que les générations futures retiendront sur la « Fin des
Batutsi » ; une fin qui semble imminente, sauf intervention miraculeuse du
Dieu d’Israël dressant, entre son Peuple en fuite et les Armées de Pharaon,
la terrible muraille des eaux de la Mer Rouge