REFLEXIONS SUR UN GENOCIDE OUBLIE
Burundi Information (le 07 decembre 2012). Nous vous proposons aujourd'hui la traduction d'un article publié par le Centre Canadien pour la Justice Internationale, Groupe de Travail de Toronto, à l'occasion d'une soirée où il était question des génocides oubliés, notamment celui des tutsi du Burundi et celui commis par les Khmers Rouges au Cambodge. Pour accéder à l'original en anglais, cliquez ici.
Bonne lecture (BINFO)
Le 26 Novembre 2012, l’Institut de Culture Contemporaine (ICC) du Musée Royal de l’Ontario (ROM) de Toronto a organisé une soirée dédiée au génocide cambodgien. J'ai eu l'honneur de participer à cet événement qui a été nommé si correctement "Réflexions contemporaines sur un génocide oublié".
La soirée a commencé par une visite guidée des photos montrant l'un des vestiges les plus parlants du génocide commis par les Khmers Rouges, à savoir « S-21 » ou « Centre de sécurité numéro 21 ». Il s’agit en réalité d’une école secondaire qui a été transformée en une prison par le régime de Pol Pot. Les photos visitées résumaient ce processus de la mort dans son ensemble, de l'admission des victimes au S-21 à leur exécution (ou à leur survie pour les rares qui ont eu la chance d’en sortir vivants). Après avoir visité l'exposition photo, les participants à la soirée ont été répartis dans des groupes qui avaient été fixés à l'avance et qui comprenaient un invité spécial chacun. En tant que représentant du Groupe de Travail du CCJI de Toronto à la soirée, j’avais la qualité d’invité spécial. Les membres de mon groupe venaient d’horizons socioprofessionnels très diversifiés, mais ils avaient en commun l’attachement aux valeurs de justice, particulièrement pour les victimes du génocide.
J'avais choisi de parler du génocide oublié du Burundi lors de cette soirée. A l’aide d’un échantillon de 5 photos représentant les caractéristiques, les étapes et les principales pratiques du génocide de 1993 contre les tutsi du Burundi, j’ai établi une comparaison avec celui commis par les Khmers rouges au Cambodge. Mon exposé s’est articulé sur trois axes qui se rapportent tous aux périodes avant, pendant et après l'époque de ces atrocités. Premièrement, en ce qui concerne le choix des victimes, alors que les Khmers rouges ciblaient les personnes instruites, au Burundi, les milices du parti FRODEBU (et plus tard du CNDD-FDD actuellement au pouvoir) visaient principalement les Tutsis, même si un certain nombre de Hutus ont été tués pour avoir refusé de se joindre au génocide. Aussi, tout comme quelques étrangers ont été victimes des Khmers rouges à S-21, les tutsi rwandais qui vivaient au Burundi pendant le génocide ont été pourchassés et tués.
Deuxièmement, j'ai souligné l’importance de toujours surveiller le langage dans le discours sur le génocide, compte tenu du rôle joué par le code langagier à tous les stades du génocide, surtout ceux de la préparation et de la négation. J’ai montré par exemple que même dans cette soirée, le guide parlait du S-21 comme d’un véritable centre de sécurité, que ce n'est que vers la fin de sa présentation qu’il a utilisé le mot «prison» à la place de « Security Center ». Or, pour quelqu'un qui n'a pas une connaissance approfondie sur le Cambodge, l'expression "centre de sécurité" ne poserait pas de problèmes.
Dans le cas du Burundi, il y a deux slogans que scandaient les militants du parti qui était au pouvoir lors du génocide de 1993 et qui se traduiraient comme «Réchauffez-vous» et «Au niveau de l’oreille ». Malgré leurs allures de cris de ralliement bénins, il s’avère que ces expressions se référaient à deux pratiques emblématiques du génocide contre les tutsi aussi bien au Burundi qu’au Rwanda: « brûler vif la victime » et « assener le coup de machette au niveau de la tempe droite ».
J’ai tenu à rappeler au public qu'il revient aux activistes avertis et bien intentionnés de s’assurer que les expressions du genre sont déconstruites.
Troisièmement, j'ai parlé de la solution qui a été proposée par l’ONU face au génocide au Burundi et au Cambodge: une chambre mixte au sein du système judiciaire national. J'ai insisté sur le caractère atypique du cas burundais où les auteurs du génocide sont au pouvoir et de ce fait jouent un rôle prépondérant dans la mise en œuvre de la solution proposée. Contrairement au Cambodge, les victimes du burundaises n'ont jamais été représentées, que ce soient dans les négociations qui ont conduit à la soi-disante "amnistie provisoire" des auteurs du génocide ou dans les pourparlers entre le gouvernement et l'ONU et dont le résultat a été l’instauration d’une chambre spéciale au sein de l'appareil judiciaire du Burundi au lieu du Tribunal Pénal International préalablement requis.
Je suis revenu sur le cas aberrant de l’actuel Président du Burundi qui a les prérogatives de désigner une partie des juges de cette Chambre Spéciale alors qu'il est lui-même un condamné pour crimes liés au génocide.
En terminant, j’ai montré quelques unes des conséquences fâcheuses, mais somme toute prévisibles, de l’impunité du crime de génocide au Burundi: depuis 2009, le Rwanda a remis au gouvernement du Burundi une liste de 670 ressortissants burundais recherchés pour leur participation au génocide rwandais, mais plus de 3 ans après, aucun d’entre eux n’a été arrêté. J’ai conclu en suggérant que la pérennisation de cet état d'impunité du génocide pourrait affecter plus d’un pays compte tenu des mouvements transfrontaliers dans la sous région.
Emmanuel Nkurunziza
Bonne lecture (BINFO)
Le 26 Novembre 2012, l’Institut de Culture Contemporaine (ICC) du Musée Royal de l’Ontario (ROM) de Toronto a organisé une soirée dédiée au génocide cambodgien. J'ai eu l'honneur de participer à cet événement qui a été nommé si correctement "Réflexions contemporaines sur un génocide oublié".
La soirée a commencé par une visite guidée des photos montrant l'un des vestiges les plus parlants du génocide commis par les Khmers Rouges, à savoir « S-21 » ou « Centre de sécurité numéro 21 ». Il s’agit en réalité d’une école secondaire qui a été transformée en une prison par le régime de Pol Pot. Les photos visitées résumaient ce processus de la mort dans son ensemble, de l'admission des victimes au S-21 à leur exécution (ou à leur survie pour les rares qui ont eu la chance d’en sortir vivants). Après avoir visité l'exposition photo, les participants à la soirée ont été répartis dans des groupes qui avaient été fixés à l'avance et qui comprenaient un invité spécial chacun. En tant que représentant du Groupe de Travail du CCJI de Toronto à la soirée, j’avais la qualité d’invité spécial. Les membres de mon groupe venaient d’horizons socioprofessionnels très diversifiés, mais ils avaient en commun l’attachement aux valeurs de justice, particulièrement pour les victimes du génocide.
J'avais choisi de parler du génocide oublié du Burundi lors de cette soirée. A l’aide d’un échantillon de 5 photos représentant les caractéristiques, les étapes et les principales pratiques du génocide de 1993 contre les tutsi du Burundi, j’ai établi une comparaison avec celui commis par les Khmers rouges au Cambodge. Mon exposé s’est articulé sur trois axes qui se rapportent tous aux périodes avant, pendant et après l'époque de ces atrocités. Premièrement, en ce qui concerne le choix des victimes, alors que les Khmers rouges ciblaient les personnes instruites, au Burundi, les milices du parti FRODEBU (et plus tard du CNDD-FDD actuellement au pouvoir) visaient principalement les Tutsis, même si un certain nombre de Hutus ont été tués pour avoir refusé de se joindre au génocide. Aussi, tout comme quelques étrangers ont été victimes des Khmers rouges à S-21, les tutsi rwandais qui vivaient au Burundi pendant le génocide ont été pourchassés et tués.
Deuxièmement, j'ai souligné l’importance de toujours surveiller le langage dans le discours sur le génocide, compte tenu du rôle joué par le code langagier à tous les stades du génocide, surtout ceux de la préparation et de la négation. J’ai montré par exemple que même dans cette soirée, le guide parlait du S-21 comme d’un véritable centre de sécurité, que ce n'est que vers la fin de sa présentation qu’il a utilisé le mot «prison» à la place de « Security Center ». Or, pour quelqu'un qui n'a pas une connaissance approfondie sur le Cambodge, l'expression "centre de sécurité" ne poserait pas de problèmes.
Dans le cas du Burundi, il y a deux slogans que scandaient les militants du parti qui était au pouvoir lors du génocide de 1993 et qui se traduiraient comme «Réchauffez-vous» et «Au niveau de l’oreille ». Malgré leurs allures de cris de ralliement bénins, il s’avère que ces expressions se référaient à deux pratiques emblématiques du génocide contre les tutsi aussi bien au Burundi qu’au Rwanda: « brûler vif la victime » et « assener le coup de machette au niveau de la tempe droite ».
J’ai tenu à rappeler au public qu'il revient aux activistes avertis et bien intentionnés de s’assurer que les expressions du genre sont déconstruites.
Troisièmement, j'ai parlé de la solution qui a été proposée par l’ONU face au génocide au Burundi et au Cambodge: une chambre mixte au sein du système judiciaire national. J'ai insisté sur le caractère atypique du cas burundais où les auteurs du génocide sont au pouvoir et de ce fait jouent un rôle prépondérant dans la mise en œuvre de la solution proposée. Contrairement au Cambodge, les victimes du burundaises n'ont jamais été représentées, que ce soient dans les négociations qui ont conduit à la soi-disante "amnistie provisoire" des auteurs du génocide ou dans les pourparlers entre le gouvernement et l'ONU et dont le résultat a été l’instauration d’une chambre spéciale au sein de l'appareil judiciaire du Burundi au lieu du Tribunal Pénal International préalablement requis.
Je suis revenu sur le cas aberrant de l’actuel Président du Burundi qui a les prérogatives de désigner une partie des juges de cette Chambre Spéciale alors qu'il est lui-même un condamné pour crimes liés au génocide.
En terminant, j’ai montré quelques unes des conséquences fâcheuses, mais somme toute prévisibles, de l’impunité du crime de génocide au Burundi: depuis 2009, le Rwanda a remis au gouvernement du Burundi une liste de 670 ressortissants burundais recherchés pour leur participation au génocide rwandais, mais plus de 3 ans après, aucun d’entre eux n’a été arrêté. J’ai conclu en suggérant que la pérennisation de cet état d'impunité du génocide pourrait affecter plus d’un pays compte tenu des mouvements transfrontaliers dans la sous région.
Emmanuel Nkurunziza