pourquoi le canada reprend-il les deportations des burundais? la cle dans le discours sur la securite *
INTRODUCTION
Un conte rundi pour commencer
Il y a longtemps, deux jeunes frères avaient perdu leur père. Leur mère se remaria avec un homme plutôt méchant. A cause du mauvais traitement qu’il réservait aux garçons, ces derniers allèrent se réfugier chez leur tante paternelle. Dès le lendemain de leur arrivée, la tante commença à demander aux petits en quoi consistaient les mauvais traitements qu’ils avaient fuis. Le plus âgé des garçons et qui était aussi le plus timide, préféra ne rien dire. Quant au deuxième, soucieux de ne pas dire du mal de l’époux de sa chère maman, raconta à sa tante que l’homme qu’ils avaient fui n’était pas si méchant. Au bout d’une semaine, la tante décida de renvoyer les garçons qui, face au renvoi inattendu, ne surent quoi dire de peur de se contredire.
Voilà la situation inconfortable dans laquelle certains de nos compatriotes se trouvent aujourd’hui. Ils ont passé des années à donner des fausses informations sur l’état de la sécurité au Burundi. Or, comme nous allons le voir ensemble, c’est sur base de ces données que le Canada a conclu qu’il y a une amélioration de la sécurité dans notre pays, suspendant du coup son moratoire sur les renvois des ressortissants de notre pays.
Pour rappel, en novembre 2004, l’association des burundais de Toronto apprit par des voies autorisées que les renvois envers le Burundi allaient reprendre. Grâce au courage de certains de ses dirigeants, il y eut une véritable levée de bouclier où conférences et pétitions et lettres aux autorités se succédèrent pour les dissuader de cette mesure qui ne prenait pas compte de l’état de guerre qui sévissait au Burundi. Le pire fut évité car le moratoire fut maintenu.
Conscients que le renvoi des demandeurs d’asile déboutés fait partie des procédures légales en vigueur à la Commission de l’Immigration et du Statut des Réfugies (CISR), nous estimons que la décision prise le 23 juillet 2009 par le Gouvernement pour reconduire cette mesure, résulte d’une erreur d’appréciation de la sécurité au Burundi. C’est ce que nous allons tenter de démontrer.
Dans un premier temps, nous allons passer en revue l’évolution de la sécurité au Burundi telle que décrite au jour le jour par les acteurs internes d’abord, puis par les partenaires du Burundi bases a l’extérieur, afin de comparer ce tableau par les informations sur lesquelles le Gouvernement du Canada s’est basé pour lever le moratoire d’expulsion. Dans un deuxième temps, nous essaierons d’expliquer les pistes qui auraient mène le gouvernement du Canada à conclure à une soi-disante amélioration de la sécurité. Dans un troisième et dernier temps, nous explorerons les meilleures stratégies de récolte et de diffusion d’une information objective d’une part; sans oublier l’identification des personnalités clés à impliquer pour amener le Gouvernement du Canada à une meilleure interprétation de ladite information et éventuellement, revoir de reprise des renvois au Burundi de nos compatriotes, d'autre part.
I. De l’état sécuritaire du Burundi en 2008-2009
A. Selon la presse burundaise et les organismes partenaires du Burundi basés à l’intérieurs ou à extérieurs.[1]
Le monitoring des médias et des rapports des organismes locaux montre que la situation sécuritaire du Burundi au cours des 12 derniers mois a été caractérisée par:
- La persécution des opposants politiques
- La persécution de ceux qui luttent pour la justice et la bonne gestion:
- L'assassinat des enquêteurs et des témoins gênants dans les scandales financiers impliquant les plus hautes autorités
- La persistance des menaces sur les rescapés du génocide
- L’implication des plus hautes autorités dans des crimes très graves
Conscients que ces écrits peuvent être juges de tendancieux, nous les avons complétés avec la déclaration la plus récente des évêques catholiques du Burundi. En effet, dans leur lettre pastorale du 02 août 2009, ces derniers énumèrent une série de 13 constats inquiétants. Le 5e d’entre eux rappelle que « dans certaines instances de l'administration et de la sécurité, on signale des cas de violence ou ceux qui devraient faire respecter la loi sont les premiers a l'enfreindre en infrigeant des traitements inhumains a ceux qu'ils devraient protéger, en faisant traîner des procès ou en rendant des jugement injustes » [c’est une traduction faite par le BINUB -- l’original est en KIRUNDI]
Le même constat d’absence de sécurité est partagé par les rapports les organismes internationaux, qu’ils soient bases ou non au Burundi. Nous avons consulté les rapports de Human Rights Watch, Amnesty International, International Crisis Group, et bien sur les Nations Unies).
De manière générale, ces organismes constatent que le Burundi est caractérisé par:
- la dégradation du climat politique
- détérioration des droits humains et du pluralisme politique au Burundi.
- le musèlement de la presse.
- le viol est une pratique répandue au Burundi ;
- les enquêtes de police plutôt rares et incomplètes
- de très nombreux civils arrêtés puis soumis à la torture.
- la progression d’une culture de l'impunité corollaire de l’amnistie en bloc des auteurs de crimes graves
Comme il est impossible de les citer dans leur totalité, nous nous limiterons au plus international de tous ces organismes, à savoir l’ONU. Dans son Quatrième rapport du Secrétaire général sur le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi sorti en novembre 2008, souligne que « Les violations graves des droits de l’homme, qui s’étaient brusquement multipliées en avril 2008 ont également été très nombreuses durant les mois qui ont suivi. Le harcèlement des représentants de la société civile, des syndicats et des partis d’opposition par les autorités burundaises s’est accentué ces derniers temps, avec notamment des arrestations et des détentions arbitraires ». (paragraphe 44)
B. Selon les documents de référence du Gouvernement du Canada
Quelque paradoxal que cela puisse paraître, alors que l’Agence Canadienne des Services Frontaliers lève le moratoire pour causes d’amélioration générale de la sécurité au Burundi, le Ministère des Affaires Étrangères et du Commerce international recommande toujours aux canadiens d'éviter tout voyage non essentiel au Burundi car Aucune région du Burundi ne peut être considérée comme étant sûre. C’est du moins ce qu’on pouvait lire sur le site dudit ministère en date du 20 août 2009 a 12h44 heure standard de l’est.
A ceux qui s’y trouvent déjà, il est conseillé d’ « éviter tout voyage dans la province de Bujumbura Rural, en périphérie de la capitale, et dans la province de Bubanza ».
Remarquez cette contradiction d’informations sur la sécurité au Burundi émanant du Gouvernement du Canada. Ceci n’est pas bien sûr la seule faille dans les motivations de l’Agence des Services frontaliers dans la décision de lever le moratoire. Les raisons avancées sont que:
- « Des élections libres et équitables ont récemment été tenues». Il serait superflu de rappeler que élections ne riment pas avec sécurité. Pour preuve, on a procédé à des élections avant hier en Afghanistan, ce qui n’empêche pas que le tiers du pays soit toujours sous la menace des talibans qui contrôlent plus d’un tiers du territoire. D’ailleurs le pays bénéficie toujours de la STR (suspension temporaire des renvois)
- « L'aide humanitaire et la sécurité assurée par la communauté internationale dans ces pays ont permis de stabiliser la situation ». A notre avis, cet élément explique plutôt une absence de sécurité, La ou il la sécurité et une bonne gestion, on en a pas besoin. Vous n’avez qu’à prendre l’exemple du pays où nous sommes.
- « Des programmes de désarmement permettent de réaliser d'importants progrès pour ce qui est du retrait des armements des mains des groupes rebelles et des gangs ». A notre connaissance, la cache d’armes annoncée par la Ligue Iteka et que nous avons mentionnées lors de notre dernière conférence en novembre 2004 n’a jamais fait l’objet d’aucune mesure appropriée. Nous en sommes convaincues car nous suivons l’actualité du Burundi au quotidien. En outre, même la semaine dernière, les media burundais faisaient état de la découverte d’une autre cache d’armes et de matériel militaire.
- « La présence des Nations Unies pour le maintien de la paix, combinée au désarmement, à la réhabilitation et à la réintégration des anciens combattants a créé un sentiment de sécurité permettant aux Burundais de rebâtir leur pays ». [Voir point précédent]
L’autre lot de documents utilisés par le Gouvernement du Canada pour apprécier la situation sécuritaire du Burundi s’appelle « Cartable Nationaux de Documentation ». Il s’agit d’une compilation faite par la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugies (CISR) relevant du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Avec la dernière mise à jour date du 19 août, on remarque la suppression du communique d’Amnesty International (AI) Février 2004. « Burundi : le viol, une atteinte aux droits humains passée sous silence » (AFR 16/006/2004), Mais quiconque suit l’actualité burundaise sait très bien que le viol reste un problème très épineux.
Toujours au sujet du viol, le Quatrième rapport du Secrétaire général sur le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi sorti en novembre2008, précise que « Le taux élevé de violences sexuelles au Burundi reste préoccupant». (paragraphe 84)
Le cartable sur le Burundi n’a aucun document sur l’orientation sexuelle. Or, le débat sur l’homosexualité est loin d’être clos. En témoigne la loi criminalisant cet acte qui a été tant contesté jusqu’au niveau du parlement du Burundi. D’ailleurs, le Ministère des Affaires Etrangères du Canada avertit toujours les citoyens canadiens de cet état de choses. Encore une fois, nous voilà en présence deux lots d’information en contradiction totale alors qu’elles émanent du même et seul gouvernement.
On notera enfin que le cartable sur le Burundi, la rubrique « information sur la criminalité et la corruption » est vide. Ceci est d’autant plus inquiétant si on sait que plusieurs vies ont déjà été emportées et que les professionnels des médias et les membres de l’OLUCOME reçoivent régulièrement des menaces de mort.
II. De la sous information et de la désinformation : réflexion sur la différence entre les 2 jeux de documents d’information
Comme nous sommes en présence d’une audience a majorité chrétienne, qu’il nous soit permit de citer une des 4 évangiles qui à l’instar des réfugies burundais, a survécu aux soubresauts de l’histoire. Dans le 1er verset du premier chapitre de l’Évangile de Jean, il est dit que « au commencement était la parole ». Nous sommes tentes d’ajouter qu’a la fin, il y a des actes, parfois désagréables, qui sont subséquents à la parole.
A. Par rapport à la fréquence lexicale des mots clés de la sécurité
Notre postulat de départ est que, pour prendre la mesure qui nous retient aujourd’hui, le Gouvernement du Canada s’est base sur des informations incomplètes voire manipulées. Nous pensons spécifiquement à l’omission de certains thèmes et termes, surtout ceux désignant les crimes les plus graves que le Burundi a connus et qui se commettent toujours.
Quels sont ces mots évités, qui les évitent, et pourquoi le font-ils? Pour ne pas nous retrouver plus accusateurs qu’analystes, nous éviterons les deux dernières questions pour ne nous pencher qu’à trois mots que nous estimons centraux à la sécurité au Burundi. Nous avons choisi génocide, impunité, et sécurité.
Pour vous permettre de bien saisir la distribution des expressions clés, nous avons calcule leur fréquence dans les textes évoques ci haut. Nous nous sommes servis d’une mesure utilisée en linguistique computationnelle, la « lexical densité » ou la densité lexicale. C’est une mesure qui est normalement utilisée pour expliquer le degré de complication d’un texte en fonction de la proportion entre les mots pleins ou « content words » (noms, verbes,adjectifs, adverbes) et les mots fonctions (comme les conjonctions, les articles,les propositions,etc.).
En d’autres mots, les coefficients que vous voyez dans les tableaux 1 et 2 et dans les figures 1 et 2 [voire ANNEXE 3] reflètent le quotient du nombre de fois qu’une expression donnée apparaît dans le texte par le nombre total des mots du texte. Le tout multiplié par 1000 même si d’habitude, cette mesure est exprimée en pourcentage. Ainsi, dans cette présentation, c’est dans le seul but de permettre une meilleure représentation graphique du coefficient de fréquence que nous avons multiplie par mille le quotient obtenu.
En somme, nous retenons de ces tableaux que les sources intérieures au Burundi mentionnent le problème de génocide beaucoup moins fréquemment que les sources extérieures. Nous en donnons comme explication la contrainte qui pèse sur les medias de l’intérieur. Il ne faut pas perdre de vue en effet que le pays est dirige par le CNDD-FDD, une organisation qui, ensemble avec le PALIPEHUTU-FNL, a été reconnue par l’ONU comme faisant parti d’une coalition génocidaire regroupant les ex-FAR et les milices Interahamwe ayant commis le génocide au Rwanda. Il en est de même pour la référence aux mots sécurité dont la fréquence est apparemment élevée dans les documents de référence du Gouvernement du Canada. Elle pourrait s’expliquer par le fait que le régime du CNDD-FDD n’à aucune contrainte à exercer sur les divers services du Gouvernement du Canada directement impliqués dans la sélection des documents sur le Burundi
B. Par rapport à l’évolution de la terminologie
En rapport avec la terminologie relative a la sécurité, nous avons sensiblement réduit le nombre d’expressions considérées dans l’étape précédente pour n’en garder qu’un seul : le génocide.
Nous estimons en effet qu’il est l’origine de l’insécurité au Burundi, que tout ce que le Burundi et les burundais endurent aujourd’hui ne sont que des conséquences directes et indirectes de son impunité.
Pour se convaincre de son importance, il suffit de penser au serment du Président de la république ou à la constitution. La lutte contre le génocide figure en bonne place dans ces textes même si en pratique, les effets tardent toujours à se manifester.
On remarque qu’au cours de la période allant de 1997 à 2009, on a progressivement cessé de parler du génocide burundais à l’ONU et ce sans qu’une quelconque solution y ait été apportée. A notre avis, que la référence au génocide soit allée decrescendo dans les textes des organismes internationaux, s’explique par deux choses:
a. Le langage de bois derrière lequel les Nations Unies (et d’autres organismes internationaux) se réfugient parfois pour éviter l’action.
Pour l’ONU : Un parcours de ces communiqués permet de voir qu’à aucun moment, l’ONU n’a jamais annoncé qu’il laisserait en toute quiétude les criminels contre l’humanité ou les gouvernements persécutant leurs administrés. Il est rare en effet de trouver une déclaration de l’ONU où le Conseil de Sécurité ne se dit préoccupé, profondément préoccupée et que sais-je encore, sans oublier la fameuse promesse de « rester saisis de la question ». Mais qu’ils prennent des actions conséquentes, n’est pas toujours garanti. Un William Shakespeare dirait « Much Ado for Nothing ». Cela est encore inquiétant si l’on sait, selon Human Rights Watch, que la mission de l'ONU au Burundi a soigneusement consigné en privé des informations sur les atteintes aux droits humains mais a omis de dénoncer publiquement ces violations
Il ne serait peut être pas déplacé de revenir sur cet embarras d’un diplomate onusien au moment ou on tergiversait a designer le chat par son nom alors que le génocide rwandais de 1994 battait son plein. Il dit que « malgré les quelques actes de génocide signales au Rwanda, il est encore trop tôt pour parler de génocide », ce a quoi un journaliste répliqua en demandant combien d’actes de génocide il faut pour parler de génocide...
Pour HRW, le CNDD n’ont pour commencer, aucun nom. Mais en 1996, quand ce groupe terroriste et génocidaire attaqué le campus universitaire de Kiriri, ils sont quand même une milice. [HRW ANN 1996]. A noter cependant que dans son Rapport de juillet 2000, HRW désigne les FDD par le mot rebelles, et que pour le PLIPEHUTU-FNL, il parle de “groupes d’opposition armés”.
Pour l’ICG, en 2000, les FDD [tout comme les FNL d’ailleurs] sont des bandes armées (ICG avril 2000, p1). Mais fait important, dans ses recommandations, l’organisme ne manque pas d’observer avec une crainte perceptible « qu’en continuant à se battre sur le territoire de la RDC, ils risquent d’être définitivement considérés comme « forces négatives à désarmer » par les négociateurs à Arusha. C’est en référence aux Accords de Lusaka pour la RDC ou l’actuellement au pouvoir avait été identifiée comme étant une force négative alliée aux Interahamwe responsables du génocide au Rwanda voisin. Cependant, en août 2001, le CNDD-FDD fait toujours partie des « groupes armés » (ICG AOUT 2001, p4); en 2004, avant même son agrément, le CNDD-FDD est devenu un des « principaux partis soutenant la nouvelle constitution” (ICG DEC 2004, p6).
Contrairement aux autres organismes cités, les recommandations de l’ICG ne sont adressés qu’au médiateur et aux gouvernements, jamais à ces organisations qu’on désigne si différemment!
L’autre autre raison de la non référence au génocide est.. .
b. Le fait que leurs informateurs de l’intérieur du Burundi comptent parmi eux les responsables du pouvoir.
Comme le soulignent les britanniques Meriel Bloor et Thomas Bloor, Many political leaders throughout the world have engaged at earlier stages in freedom fighting/terrorism, but when established in power, they denounce ‘terrorism,’ referring not to their own activities in retrospect but rather to similar activities by their enemies. Freedom fighters are people on our side, and terrorists are the enemy.[2]
Dans la logique de cette observation, on s’attendrait à ce que le CNDD-FDD au pouvoir au Burundi rejette le tort sur quelqu’un d’autre. Hélas, ce n’est pas le cas, car mêmes les accusations se font rares. A part les appels de l’infatigable AC GENOCIDE CIRIMOSO, on dirait qu’il y a un silence radio sur la question du génocide impuni.
De leur côté, les dirigeants évitent autant que faire se peut à évoquer un crime qui, s’il était apprécié à sa juste hauteur, appellerait à l’arrestation et au jugement de beaucoup d’entre eux. Le tout est noyé dans des projets aux appellations fort pompeuses qui, en réalité, sont destinés à bloquer la voie du droit. C’est ainsi qu’on entend parler de la Commission Vérité et Réconciliation, de la Justice Transitionnelle, Justice post-conflit, etc., etc.
Pour comprendre le pourquoi de tout cela, il s’en faut beaucoup donner considération à cette observation de Françoise Saulnier-Bouchet qui, dans son Dictionnaire du Droit Humanitaire, note que « quand on ne veut pas agir, ou quand on veut agir contre le droit et la morale, on qualifie mal les choses : génocide devient massacres interethniques, génocide devient guerre civile et les milices deviennent bandes armées ».
Voilà qui explique comment du jour au lendemain, le terroriste au Burundi est devenu un acteur principal de la paix avant d’être cité comme un démocrate exemplaire.
Nous sommes conscients que parmi notre audience, il se trouve des sympathisants de telle ou telle autre formation politique burundaise. Aussi, par soucis d’équité (qui n’est pas à confondre avec un équilibrage), nous ne saurions clore cette section sur la déformation progressive de la terminologie de la sécurité au Burundi sans vous citer quelqu’un dont la fiche de lecture de l’action du gouvernement du Burundi est très éloignée de la nôtre, pour la simple raison qu’il est membre de l’organisation au pouvoir et un serviteur du régime que nous avons fui et dont nous (personnellement au moins) combattons ouvertement les crimes par des voies pacifiques. Il s’agit d’un officier de la Police Présidentielle du Burundi, le Major Jean Bosco Nsabimana alias Maregos, qui a fini par se brouiller avec ses patrons pour des raisons de partage inéquitable du butin de leurs délits.
Ainsi, dans une interview qui est disponible sur le site populaire « youtube », le même Maregos, interrogé sur les multiples vols à main armée dont les enquêtes ne révèlent presque jamais d’auteurs, précise : « MURI IBI BIHE HARI IBINTU BISANZWE BIHARI VYO KUVUGA KO HARI IMIGWI Y’ABASUMA ISANZWE IKOMAKOMEYE YIBA… HANYUMA BAGACA BAJA KU MARADIYO NGO YA MIRWI IKOMAKOMEYE YIBA TWAYIFASHE. UBUNDI SI UKO BIMEZE, NTIBAZE BABAHENDE, NTA MUGWI WIGERA UKOMERA I BUJUMBURA. IMIGWI YOSE IHARI IKOMEYE IRI SOUTENUS PAR LES CADRES» [Traduction: ces derniers jours, on parle de groupes redoutables de bandits armés qui commettent le vol … Et après on annonce à la radio qu’on a défait ces groupes dangereux. Mais la réalité est autre. Qu’on ne vous mente pas; il ne peut y avoir de groupe de bandits armés à Bujumbura qui serait fort sans qu’il ne soit soutenu par les cadres]
Par ces propos, Maregos confirme ce qui était déjà connu : que les principaux malfaiteurs ne sont que des agents du pouvoir, spécifiquement les agents du Service National de Renseignements. Nous tenons quand même à implorer votre clémence car nous estimons que vous devez être offusqués par la référence à un individu qui, en plus de ces révélations, reconnaît avoir pratiqué la torture et participe à des raids meurtriers pour le compte de ses supérieurs. Veuillez donc bien comprendre que l’authenticité et la crédibilité de l’information, sécuritaire surtout, vient à ce prix, nous y reviendrons plus loin.
Nous pensons que de la même manière que la référence au génocide au Burundi a été soigneusement évitée au moment où la question de son impunité reste posée dans toute son entièreté, de la même manière donc, la réalité sur la sécurité au Burundi a été masquée dans les informations fournies au Gouvernement du Canada qui, en toute logique, a tirée une fausse conclusion, ordonnant ainsi la reprise des renvois vers des ressortissants burundais. Il nous incombe donc de lui montrer que le Burundi est loin de respirer la sécurité.
Qui faut-il impliquer et comment le faire ?
On ne le dira jamais assez, pour une bonne exploitation, il est tres important d’identifier et de bien cibler ses interlocuteurs. A titre d’exemple, ce n’est pas gratuit que l’ICG n’adresse ses rapports qu’aux seuls organismes internationaux. Certainement qu’il est conscient que la seule voix susceptible d’être entendue par un régime totalitaire est celle du plus puissant. Aussi, comme il ressort de ce qui précède que c’est au niveau du Gouvernement du Canada que cette mesure lourde de conséquences pour nos compatriotes a été prise, il faudrait, en plus des Ministres de la Citoyenneté et de l’Immigration d’une part, et celui de la Sécurité Publique et de la Préparation aux Catastrophes, d’autre part; faudra-t-il cibler en les Membres du Parlement Fédéral. Souvenez-vous de l’adage rundi qui nous rappelle que s’il est interdit d’insulter un supérieur, il n’est pas défendu de lui confier une mission UMUKURU UZIRA KUMUTUKA NTUZIRA KUMUTUMA. Nos dirigeants communautaires auront un rôle central à jouer dans l’organisation et la coordination de ces contacts. Mais nous ne nous y attardons pas ici, il s’agit de toute évidence de détails techniques à peaufiner dans un cadre approprié.
A la question de savoir quoi leur dire, nous nous en voudrions de ne pas rappeler que c'est la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité, qui sauve. Approchez donc vos parlementaires avec ces informations véridiques et vérifiables qui n’ont pas été exploitées alors qu’elles sont d’une importance capitale dans l’appréciation de la sécurité au Burundi.
Préparer ce qu’il faut dire amène à se questionner sur la façon dont il faut le dire… Tout à l’heure, nous avons évoqué les ravages causés par le langage de bois de l’ONU. Nous aimerions vous interpeller encore une fois face à un piège dans lequel nous tombons bien souvent, dans un soucis légitime d’équité mais qui malheureusement nous entraine, parfois sans qu’on s’en rende compte,dans un équilibrage tendancieux. Ainsi, il faudrait par exemple éviter des globalisations du genre « les burundais se sont entretués », qui, en realite, servent à entretenir le flou sur l’identité des criminels – dont la majorité sont au pouvoir.
Références
[1] Il s’agit de ARIB, LIGUE ITEKA, OMAC, BURUNDI TRANSPARENCE, BURUNDI TRIBUNE, NETPRESS
[2] The Practice of Critical Discourse Analysis par Meriel et Thomas Bloor, publié en 2007 à New York, NY; Routledge, page 131.
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* "Analyser le Discours sur la Sécurité au Burundi. Pour une meilleure réponse à la reprisedes expulsions envers le Burundi, le Rwanda et le Libéria", communication d'Emmanuel Nkurunziza, Doctorant en Etudes Françaises (University of Western Ontario, London, Ontario) à l'occasion de la session d’information organisée par le Centre francophone de Toronto et l'Association de la Communauté Burundo-Canadienne de la région de Toronto. Toronto, le 22 août 2009.
Un conte rundi pour commencer
Il y a longtemps, deux jeunes frères avaient perdu leur père. Leur mère se remaria avec un homme plutôt méchant. A cause du mauvais traitement qu’il réservait aux garçons, ces derniers allèrent se réfugier chez leur tante paternelle. Dès le lendemain de leur arrivée, la tante commença à demander aux petits en quoi consistaient les mauvais traitements qu’ils avaient fuis. Le plus âgé des garçons et qui était aussi le plus timide, préféra ne rien dire. Quant au deuxième, soucieux de ne pas dire du mal de l’époux de sa chère maman, raconta à sa tante que l’homme qu’ils avaient fui n’était pas si méchant. Au bout d’une semaine, la tante décida de renvoyer les garçons qui, face au renvoi inattendu, ne surent quoi dire de peur de se contredire.
Voilà la situation inconfortable dans laquelle certains de nos compatriotes se trouvent aujourd’hui. Ils ont passé des années à donner des fausses informations sur l’état de la sécurité au Burundi. Or, comme nous allons le voir ensemble, c’est sur base de ces données que le Canada a conclu qu’il y a une amélioration de la sécurité dans notre pays, suspendant du coup son moratoire sur les renvois des ressortissants de notre pays.
Pour rappel, en novembre 2004, l’association des burundais de Toronto apprit par des voies autorisées que les renvois envers le Burundi allaient reprendre. Grâce au courage de certains de ses dirigeants, il y eut une véritable levée de bouclier où conférences et pétitions et lettres aux autorités se succédèrent pour les dissuader de cette mesure qui ne prenait pas compte de l’état de guerre qui sévissait au Burundi. Le pire fut évité car le moratoire fut maintenu.
Conscients que le renvoi des demandeurs d’asile déboutés fait partie des procédures légales en vigueur à la Commission de l’Immigration et du Statut des Réfugies (CISR), nous estimons que la décision prise le 23 juillet 2009 par le Gouvernement pour reconduire cette mesure, résulte d’une erreur d’appréciation de la sécurité au Burundi. C’est ce que nous allons tenter de démontrer.
Dans un premier temps, nous allons passer en revue l’évolution de la sécurité au Burundi telle que décrite au jour le jour par les acteurs internes d’abord, puis par les partenaires du Burundi bases a l’extérieur, afin de comparer ce tableau par les informations sur lesquelles le Gouvernement du Canada s’est basé pour lever le moratoire d’expulsion. Dans un deuxième temps, nous essaierons d’expliquer les pistes qui auraient mène le gouvernement du Canada à conclure à une soi-disante amélioration de la sécurité. Dans un troisième et dernier temps, nous explorerons les meilleures stratégies de récolte et de diffusion d’une information objective d’une part; sans oublier l’identification des personnalités clés à impliquer pour amener le Gouvernement du Canada à une meilleure interprétation de ladite information et éventuellement, revoir de reprise des renvois au Burundi de nos compatriotes, d'autre part.
I. De l’état sécuritaire du Burundi en 2008-2009
A. Selon la presse burundaise et les organismes partenaires du Burundi basés à l’intérieurs ou à extérieurs.[1]
Le monitoring des médias et des rapports des organismes locaux montre que la situation sécuritaire du Burundi au cours des 12 derniers mois a été caractérisée par:
- La persécution des opposants politiques
- La persécution de ceux qui luttent pour la justice et la bonne gestion:
- L'assassinat des enquêteurs et des témoins gênants dans les scandales financiers impliquant les plus hautes autorités
- La persistance des menaces sur les rescapés du génocide
- L’implication des plus hautes autorités dans des crimes très graves
Conscients que ces écrits peuvent être juges de tendancieux, nous les avons complétés avec la déclaration la plus récente des évêques catholiques du Burundi. En effet, dans leur lettre pastorale du 02 août 2009, ces derniers énumèrent une série de 13 constats inquiétants. Le 5e d’entre eux rappelle que « dans certaines instances de l'administration et de la sécurité, on signale des cas de violence ou ceux qui devraient faire respecter la loi sont les premiers a l'enfreindre en infrigeant des traitements inhumains a ceux qu'ils devraient protéger, en faisant traîner des procès ou en rendant des jugement injustes » [c’est une traduction faite par le BINUB -- l’original est en KIRUNDI]
Le même constat d’absence de sécurité est partagé par les rapports les organismes internationaux, qu’ils soient bases ou non au Burundi. Nous avons consulté les rapports de Human Rights Watch, Amnesty International, International Crisis Group, et bien sur les Nations Unies).
De manière générale, ces organismes constatent que le Burundi est caractérisé par:
- la dégradation du climat politique
- détérioration des droits humains et du pluralisme politique au Burundi.
- le musèlement de la presse.
- le viol est une pratique répandue au Burundi ;
- les enquêtes de police plutôt rares et incomplètes
- de très nombreux civils arrêtés puis soumis à la torture.
- la progression d’une culture de l'impunité corollaire de l’amnistie en bloc des auteurs de crimes graves
Comme il est impossible de les citer dans leur totalité, nous nous limiterons au plus international de tous ces organismes, à savoir l’ONU. Dans son Quatrième rapport du Secrétaire général sur le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi sorti en novembre 2008, souligne que « Les violations graves des droits de l’homme, qui s’étaient brusquement multipliées en avril 2008 ont également été très nombreuses durant les mois qui ont suivi. Le harcèlement des représentants de la société civile, des syndicats et des partis d’opposition par les autorités burundaises s’est accentué ces derniers temps, avec notamment des arrestations et des détentions arbitraires ». (paragraphe 44)
B. Selon les documents de référence du Gouvernement du Canada
Quelque paradoxal que cela puisse paraître, alors que l’Agence Canadienne des Services Frontaliers lève le moratoire pour causes d’amélioration générale de la sécurité au Burundi, le Ministère des Affaires Étrangères et du Commerce international recommande toujours aux canadiens d'éviter tout voyage non essentiel au Burundi car Aucune région du Burundi ne peut être considérée comme étant sûre. C’est du moins ce qu’on pouvait lire sur le site dudit ministère en date du 20 août 2009 a 12h44 heure standard de l’est.
A ceux qui s’y trouvent déjà, il est conseillé d’ « éviter tout voyage dans la province de Bujumbura Rural, en périphérie de la capitale, et dans la province de Bubanza ».
Remarquez cette contradiction d’informations sur la sécurité au Burundi émanant du Gouvernement du Canada. Ceci n’est pas bien sûr la seule faille dans les motivations de l’Agence des Services frontaliers dans la décision de lever le moratoire. Les raisons avancées sont que:
- « Des élections libres et équitables ont récemment été tenues». Il serait superflu de rappeler que élections ne riment pas avec sécurité. Pour preuve, on a procédé à des élections avant hier en Afghanistan, ce qui n’empêche pas que le tiers du pays soit toujours sous la menace des talibans qui contrôlent plus d’un tiers du territoire. D’ailleurs le pays bénéficie toujours de la STR (suspension temporaire des renvois)
- « L'aide humanitaire et la sécurité assurée par la communauté internationale dans ces pays ont permis de stabiliser la situation ». A notre avis, cet élément explique plutôt une absence de sécurité, La ou il la sécurité et une bonne gestion, on en a pas besoin. Vous n’avez qu’à prendre l’exemple du pays où nous sommes.
- « Des programmes de désarmement permettent de réaliser d'importants progrès pour ce qui est du retrait des armements des mains des groupes rebelles et des gangs ». A notre connaissance, la cache d’armes annoncée par la Ligue Iteka et que nous avons mentionnées lors de notre dernière conférence en novembre 2004 n’a jamais fait l’objet d’aucune mesure appropriée. Nous en sommes convaincues car nous suivons l’actualité du Burundi au quotidien. En outre, même la semaine dernière, les media burundais faisaient état de la découverte d’une autre cache d’armes et de matériel militaire.
- « La présence des Nations Unies pour le maintien de la paix, combinée au désarmement, à la réhabilitation et à la réintégration des anciens combattants a créé un sentiment de sécurité permettant aux Burundais de rebâtir leur pays ». [Voir point précédent]
L’autre lot de documents utilisés par le Gouvernement du Canada pour apprécier la situation sécuritaire du Burundi s’appelle « Cartable Nationaux de Documentation ». Il s’agit d’une compilation faite par la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugies (CISR) relevant du Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Avec la dernière mise à jour date du 19 août, on remarque la suppression du communique d’Amnesty International (AI) Février 2004. « Burundi : le viol, une atteinte aux droits humains passée sous silence » (AFR 16/006/2004), Mais quiconque suit l’actualité burundaise sait très bien que le viol reste un problème très épineux.
Toujours au sujet du viol, le Quatrième rapport du Secrétaire général sur le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi sorti en novembre2008, précise que « Le taux élevé de violences sexuelles au Burundi reste préoccupant». (paragraphe 84)
Le cartable sur le Burundi n’a aucun document sur l’orientation sexuelle. Or, le débat sur l’homosexualité est loin d’être clos. En témoigne la loi criminalisant cet acte qui a été tant contesté jusqu’au niveau du parlement du Burundi. D’ailleurs, le Ministère des Affaires Etrangères du Canada avertit toujours les citoyens canadiens de cet état de choses. Encore une fois, nous voilà en présence deux lots d’information en contradiction totale alors qu’elles émanent du même et seul gouvernement.
On notera enfin que le cartable sur le Burundi, la rubrique « information sur la criminalité et la corruption » est vide. Ceci est d’autant plus inquiétant si on sait que plusieurs vies ont déjà été emportées et que les professionnels des médias et les membres de l’OLUCOME reçoivent régulièrement des menaces de mort.
II. De la sous information et de la désinformation : réflexion sur la différence entre les 2 jeux de documents d’information
Comme nous sommes en présence d’une audience a majorité chrétienne, qu’il nous soit permit de citer une des 4 évangiles qui à l’instar des réfugies burundais, a survécu aux soubresauts de l’histoire. Dans le 1er verset du premier chapitre de l’Évangile de Jean, il est dit que « au commencement était la parole ». Nous sommes tentes d’ajouter qu’a la fin, il y a des actes, parfois désagréables, qui sont subséquents à la parole.
A. Par rapport à la fréquence lexicale des mots clés de la sécurité
Notre postulat de départ est que, pour prendre la mesure qui nous retient aujourd’hui, le Gouvernement du Canada s’est base sur des informations incomplètes voire manipulées. Nous pensons spécifiquement à l’omission de certains thèmes et termes, surtout ceux désignant les crimes les plus graves que le Burundi a connus et qui se commettent toujours.
Quels sont ces mots évités, qui les évitent, et pourquoi le font-ils? Pour ne pas nous retrouver plus accusateurs qu’analystes, nous éviterons les deux dernières questions pour ne nous pencher qu’à trois mots que nous estimons centraux à la sécurité au Burundi. Nous avons choisi génocide, impunité, et sécurité.
Pour vous permettre de bien saisir la distribution des expressions clés, nous avons calcule leur fréquence dans les textes évoques ci haut. Nous nous sommes servis d’une mesure utilisée en linguistique computationnelle, la « lexical densité » ou la densité lexicale. C’est une mesure qui est normalement utilisée pour expliquer le degré de complication d’un texte en fonction de la proportion entre les mots pleins ou « content words » (noms, verbes,adjectifs, adverbes) et les mots fonctions (comme les conjonctions, les articles,les propositions,etc.).
En d’autres mots, les coefficients que vous voyez dans les tableaux 1 et 2 et dans les figures 1 et 2 [voire ANNEXE 3] reflètent le quotient du nombre de fois qu’une expression donnée apparaît dans le texte par le nombre total des mots du texte. Le tout multiplié par 1000 même si d’habitude, cette mesure est exprimée en pourcentage. Ainsi, dans cette présentation, c’est dans le seul but de permettre une meilleure représentation graphique du coefficient de fréquence que nous avons multiplie par mille le quotient obtenu.
En somme, nous retenons de ces tableaux que les sources intérieures au Burundi mentionnent le problème de génocide beaucoup moins fréquemment que les sources extérieures. Nous en donnons comme explication la contrainte qui pèse sur les medias de l’intérieur. Il ne faut pas perdre de vue en effet que le pays est dirige par le CNDD-FDD, une organisation qui, ensemble avec le PALIPEHUTU-FNL, a été reconnue par l’ONU comme faisant parti d’une coalition génocidaire regroupant les ex-FAR et les milices Interahamwe ayant commis le génocide au Rwanda. Il en est de même pour la référence aux mots sécurité dont la fréquence est apparemment élevée dans les documents de référence du Gouvernement du Canada. Elle pourrait s’expliquer par le fait que le régime du CNDD-FDD n’à aucune contrainte à exercer sur les divers services du Gouvernement du Canada directement impliqués dans la sélection des documents sur le Burundi
B. Par rapport à l’évolution de la terminologie
En rapport avec la terminologie relative a la sécurité, nous avons sensiblement réduit le nombre d’expressions considérées dans l’étape précédente pour n’en garder qu’un seul : le génocide.
Nous estimons en effet qu’il est l’origine de l’insécurité au Burundi, que tout ce que le Burundi et les burundais endurent aujourd’hui ne sont que des conséquences directes et indirectes de son impunité.
Pour se convaincre de son importance, il suffit de penser au serment du Président de la république ou à la constitution. La lutte contre le génocide figure en bonne place dans ces textes même si en pratique, les effets tardent toujours à se manifester.
On remarque qu’au cours de la période allant de 1997 à 2009, on a progressivement cessé de parler du génocide burundais à l’ONU et ce sans qu’une quelconque solution y ait été apportée. A notre avis, que la référence au génocide soit allée decrescendo dans les textes des organismes internationaux, s’explique par deux choses:
a. Le langage de bois derrière lequel les Nations Unies (et d’autres organismes internationaux) se réfugient parfois pour éviter l’action.
Pour l’ONU : Un parcours de ces communiqués permet de voir qu’à aucun moment, l’ONU n’a jamais annoncé qu’il laisserait en toute quiétude les criminels contre l’humanité ou les gouvernements persécutant leurs administrés. Il est rare en effet de trouver une déclaration de l’ONU où le Conseil de Sécurité ne se dit préoccupé, profondément préoccupée et que sais-je encore, sans oublier la fameuse promesse de « rester saisis de la question ». Mais qu’ils prennent des actions conséquentes, n’est pas toujours garanti. Un William Shakespeare dirait « Much Ado for Nothing ». Cela est encore inquiétant si l’on sait, selon Human Rights Watch, que la mission de l'ONU au Burundi a soigneusement consigné en privé des informations sur les atteintes aux droits humains mais a omis de dénoncer publiquement ces violations
Il ne serait peut être pas déplacé de revenir sur cet embarras d’un diplomate onusien au moment ou on tergiversait a designer le chat par son nom alors que le génocide rwandais de 1994 battait son plein. Il dit que « malgré les quelques actes de génocide signales au Rwanda, il est encore trop tôt pour parler de génocide », ce a quoi un journaliste répliqua en demandant combien d’actes de génocide il faut pour parler de génocide...
Pour HRW, le CNDD n’ont pour commencer, aucun nom. Mais en 1996, quand ce groupe terroriste et génocidaire attaqué le campus universitaire de Kiriri, ils sont quand même une milice. [HRW ANN 1996]. A noter cependant que dans son Rapport de juillet 2000, HRW désigne les FDD par le mot rebelles, et que pour le PLIPEHUTU-FNL, il parle de “groupes d’opposition armés”.
Pour l’ICG, en 2000, les FDD [tout comme les FNL d’ailleurs] sont des bandes armées (ICG avril 2000, p1). Mais fait important, dans ses recommandations, l’organisme ne manque pas d’observer avec une crainte perceptible « qu’en continuant à se battre sur le territoire de la RDC, ils risquent d’être définitivement considérés comme « forces négatives à désarmer » par les négociateurs à Arusha. C’est en référence aux Accords de Lusaka pour la RDC ou l’actuellement au pouvoir avait été identifiée comme étant une force négative alliée aux Interahamwe responsables du génocide au Rwanda voisin. Cependant, en août 2001, le CNDD-FDD fait toujours partie des « groupes armés » (ICG AOUT 2001, p4); en 2004, avant même son agrément, le CNDD-FDD est devenu un des « principaux partis soutenant la nouvelle constitution” (ICG DEC 2004, p6).
Contrairement aux autres organismes cités, les recommandations de l’ICG ne sont adressés qu’au médiateur et aux gouvernements, jamais à ces organisations qu’on désigne si différemment!
L’autre autre raison de la non référence au génocide est.. .
b. Le fait que leurs informateurs de l’intérieur du Burundi comptent parmi eux les responsables du pouvoir.
Comme le soulignent les britanniques Meriel Bloor et Thomas Bloor, Many political leaders throughout the world have engaged at earlier stages in freedom fighting/terrorism, but when established in power, they denounce ‘terrorism,’ referring not to their own activities in retrospect but rather to similar activities by their enemies. Freedom fighters are people on our side, and terrorists are the enemy.[2]
Dans la logique de cette observation, on s’attendrait à ce que le CNDD-FDD au pouvoir au Burundi rejette le tort sur quelqu’un d’autre. Hélas, ce n’est pas le cas, car mêmes les accusations se font rares. A part les appels de l’infatigable AC GENOCIDE CIRIMOSO, on dirait qu’il y a un silence radio sur la question du génocide impuni.
De leur côté, les dirigeants évitent autant que faire se peut à évoquer un crime qui, s’il était apprécié à sa juste hauteur, appellerait à l’arrestation et au jugement de beaucoup d’entre eux. Le tout est noyé dans des projets aux appellations fort pompeuses qui, en réalité, sont destinés à bloquer la voie du droit. C’est ainsi qu’on entend parler de la Commission Vérité et Réconciliation, de la Justice Transitionnelle, Justice post-conflit, etc., etc.
Pour comprendre le pourquoi de tout cela, il s’en faut beaucoup donner considération à cette observation de Françoise Saulnier-Bouchet qui, dans son Dictionnaire du Droit Humanitaire, note que « quand on ne veut pas agir, ou quand on veut agir contre le droit et la morale, on qualifie mal les choses : génocide devient massacres interethniques, génocide devient guerre civile et les milices deviennent bandes armées ».
Voilà qui explique comment du jour au lendemain, le terroriste au Burundi est devenu un acteur principal de la paix avant d’être cité comme un démocrate exemplaire.
Nous sommes conscients que parmi notre audience, il se trouve des sympathisants de telle ou telle autre formation politique burundaise. Aussi, par soucis d’équité (qui n’est pas à confondre avec un équilibrage), nous ne saurions clore cette section sur la déformation progressive de la terminologie de la sécurité au Burundi sans vous citer quelqu’un dont la fiche de lecture de l’action du gouvernement du Burundi est très éloignée de la nôtre, pour la simple raison qu’il est membre de l’organisation au pouvoir et un serviteur du régime que nous avons fui et dont nous (personnellement au moins) combattons ouvertement les crimes par des voies pacifiques. Il s’agit d’un officier de la Police Présidentielle du Burundi, le Major Jean Bosco Nsabimana alias Maregos, qui a fini par se brouiller avec ses patrons pour des raisons de partage inéquitable du butin de leurs délits.
Ainsi, dans une interview qui est disponible sur le site populaire « youtube », le même Maregos, interrogé sur les multiples vols à main armée dont les enquêtes ne révèlent presque jamais d’auteurs, précise : « MURI IBI BIHE HARI IBINTU BISANZWE BIHARI VYO KUVUGA KO HARI IMIGWI Y’ABASUMA ISANZWE IKOMAKOMEYE YIBA… HANYUMA BAGACA BAJA KU MARADIYO NGO YA MIRWI IKOMAKOMEYE YIBA TWAYIFASHE. UBUNDI SI UKO BIMEZE, NTIBAZE BABAHENDE, NTA MUGWI WIGERA UKOMERA I BUJUMBURA. IMIGWI YOSE IHARI IKOMEYE IRI SOUTENUS PAR LES CADRES» [Traduction: ces derniers jours, on parle de groupes redoutables de bandits armés qui commettent le vol … Et après on annonce à la radio qu’on a défait ces groupes dangereux. Mais la réalité est autre. Qu’on ne vous mente pas; il ne peut y avoir de groupe de bandits armés à Bujumbura qui serait fort sans qu’il ne soit soutenu par les cadres]
Par ces propos, Maregos confirme ce qui était déjà connu : que les principaux malfaiteurs ne sont que des agents du pouvoir, spécifiquement les agents du Service National de Renseignements. Nous tenons quand même à implorer votre clémence car nous estimons que vous devez être offusqués par la référence à un individu qui, en plus de ces révélations, reconnaît avoir pratiqué la torture et participe à des raids meurtriers pour le compte de ses supérieurs. Veuillez donc bien comprendre que l’authenticité et la crédibilité de l’information, sécuritaire surtout, vient à ce prix, nous y reviendrons plus loin.
Nous pensons que de la même manière que la référence au génocide au Burundi a été soigneusement évitée au moment où la question de son impunité reste posée dans toute son entièreté, de la même manière donc, la réalité sur la sécurité au Burundi a été masquée dans les informations fournies au Gouvernement du Canada qui, en toute logique, a tirée une fausse conclusion, ordonnant ainsi la reprise des renvois vers des ressortissants burundais. Il nous incombe donc de lui montrer que le Burundi est loin de respirer la sécurité.
Qui faut-il impliquer et comment le faire ?
On ne le dira jamais assez, pour une bonne exploitation, il est tres important d’identifier et de bien cibler ses interlocuteurs. A titre d’exemple, ce n’est pas gratuit que l’ICG n’adresse ses rapports qu’aux seuls organismes internationaux. Certainement qu’il est conscient que la seule voix susceptible d’être entendue par un régime totalitaire est celle du plus puissant. Aussi, comme il ressort de ce qui précède que c’est au niveau du Gouvernement du Canada que cette mesure lourde de conséquences pour nos compatriotes a été prise, il faudrait, en plus des Ministres de la Citoyenneté et de l’Immigration d’une part, et celui de la Sécurité Publique et de la Préparation aux Catastrophes, d’autre part; faudra-t-il cibler en les Membres du Parlement Fédéral. Souvenez-vous de l’adage rundi qui nous rappelle que s’il est interdit d’insulter un supérieur, il n’est pas défendu de lui confier une mission UMUKURU UZIRA KUMUTUKA NTUZIRA KUMUTUMA. Nos dirigeants communautaires auront un rôle central à jouer dans l’organisation et la coordination de ces contacts. Mais nous ne nous y attardons pas ici, il s’agit de toute évidence de détails techniques à peaufiner dans un cadre approprié.
A la question de savoir quoi leur dire, nous nous en voudrions de ne pas rappeler que c'est la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité, qui sauve. Approchez donc vos parlementaires avec ces informations véridiques et vérifiables qui n’ont pas été exploitées alors qu’elles sont d’une importance capitale dans l’appréciation de la sécurité au Burundi.
Préparer ce qu’il faut dire amène à se questionner sur la façon dont il faut le dire… Tout à l’heure, nous avons évoqué les ravages causés par le langage de bois de l’ONU. Nous aimerions vous interpeller encore une fois face à un piège dans lequel nous tombons bien souvent, dans un soucis légitime d’équité mais qui malheureusement nous entraine, parfois sans qu’on s’en rende compte,dans un équilibrage tendancieux. Ainsi, il faudrait par exemple éviter des globalisations du genre « les burundais se sont entretués », qui, en realite, servent à entretenir le flou sur l’identité des criminels – dont la majorité sont au pouvoir.
Références
[1] Il s’agit de ARIB, LIGUE ITEKA, OMAC, BURUNDI TRANSPARENCE, BURUNDI TRIBUNE, NETPRESS
[2] The Practice of Critical Discourse Analysis par Meriel et Thomas Bloor, publié en 2007 à New York, NY; Routledge, page 131.
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* "Analyser le Discours sur la Sécurité au Burundi. Pour une meilleure réponse à la reprisedes expulsions envers le Burundi, le Rwanda et le Libéria", communication d'Emmanuel Nkurunziza, Doctorant en Etudes Françaises (University of Western Ontario, London, Ontario) à l'occasion de la session d’information organisée par le Centre francophone de Toronto et l'Association de la Communauté Burundo-Canadienne de la région de Toronto. Toronto, le 22 août 2009.